Phoenix, Arizona
de Sherman Alexie

critiqué par Spirit, le 2 mars 2005
(Ploudaniel/BRETAGNE - 64 ans)


La note:  étoiles
Un livre magnifique
Sherman Alexie est un Indien. Un Indien Spokane, il est l’ami de Jim Harrison, normal, logique.
Phœnix Arizona est un recueil de nouvelles mettant en scène les Indiens Spokane dans leur réserve et leurs quelques virées dans le monde des blancs.
Sherman Alexie trempe sa plume dans les tripes de sa tribu : Le goût est amer. L’amertume de la défaite et de l’humiliation. L’amertume d’un peuple qui a perdu sa fierté, son honneur et qui ne se maintient en vie que grâce aux béquilles des victoires passées. Pour le reste, pour tenir le coup dans ce monde il leur reste la bière, le coca light et les Pow-wow .
Les mots sont durs, tranchants comme le couperet de la sentence des blancs. Les portraits sont tendres et sans concession. Ce ne sont pas les portraits des grands guerriers, non ces guerriers là mènent une guerre perdue d’avance, celle contre l’oubli.
Vous aimez Jim Harrison ? C’est « pire », là où Harrison nous montre le malheur des Indiens, Sherman Alexie nous montre les plaies encore ouvertes, les trous béants d’où coulent le sang et les larmes.
Les héros de Phœnix Arizona sont morts, depuis le jour où l’homme blanc a posé le pied sur les plages de ce continent.
En nous racontant la vie de Victor et de ses frères, Sherman Alexie nous montre combien la programmation de l’extinction totale des Indiens se poursuit de manière ignoble.
Sans complaisance, sans pathos mais sans langue de bois ni fausse pudeur il nous fait voir l’agonie d’un peuple.
Un livre magnifique, un auteur magnifique, un être humain. Il y en a, il en reste, encore, malgré ce monde
21 nouvelles. 8 étoiles

Sherman Alexie est un indien Spokane. Il a grandi dans une réserve de l’Etat de Washington, à l’Ouest des Etats-Unis. On le dit ami de Jim Harrison et la filiation parait naturelle. Mais là où Jim Harrison parvient à prendre un détachement poétique ou littéraire, à s’élever, pour traiter du dénuement, du mal-être, de la misère de la condition humaine, Sherman Alexie la brasse à pleins bras cette misère, ne s’en extrait pas. Il l’a vécu, à défaut de la vivre encore. Il l’a vécu et il connait ceux qui la vivent encore.
C’est que la condition d’indien, dans une réserve, ne vous amène pas droit au bonheur, à la richesse et à l’épanouissement. A en croire ce que nous raconte Sherman Alexie au fil de ces 21 nouvelles, c’est plutôt désespérance, alcoolisme et absence de perspectives qui sont au rendez-vous. Avec à la clef comme un brin de fatalisme histoire de bien vous enfoncer dans le rien.
De petits bonheurs, guère. Du vide vivant - ça ne bouge pas trop le vide vivant – du temps immobile, des pow-wows de ci de là, des beuveries, des bagarres, de l’échec … Pourtant apparemment il en est sorti Sherman Alexie de la réserve ? Sherman Alexie, oui. Ses personnages, non.
Quelque chose me dit qu’on peut remercier le traducteur qui doit être pour quelque chose dans la beauté du texte. On dirait du Jim Harrison sous désespérance !

« On était assis sur la véranda et on surveillait la réserve. Il ne se passait rien. De nos fauteuils que leurs pieds branlant transformaient en rocking-chairs, on voyait que le seul feu de signalisation de la réserve ne fonctionnait plus.
« Hé, Victor, depuis quand ce truc ne marche plus ? me demanda Adrian.
- Je sais pas. »
C’était l’été. Il faisait chaud. Pourtant, on gardait nos chemises pour cacher nos brioches de buveurs de bière et nos cicatrices de varicelle. En tout cas, moi je tenais à cacher mon bide. J’étais une ancienne vedette de basket qui se laissait aller. C’est toujours assez triste quand ça arrive. Il n’y a rien de moins séduisant qu’un homme inutile et c’est deux fois plus vrai quand il s’agit d’un indien. »

Tistou - - 68 ans - 7 janvier 2010


Tranches de vie 8 étoiles

Sherman Alexie, au travers de nouvelles pleines de vie et de vérité, de joie triste et fugace, de tristesse noyée dans l'alcool, nous propose de découvrir de l'intérieur la vie sur une réserve indienne.

La légèreté des textes permet une appréhension immédiate de ces tranches de vie presque volées. Certains atteignent un lyrisme et une mélancolie empreinte d'humour désenchanté (Une drogue nommée tradition). On y montre l'impossibilité de la rédemption.

L'écriture, au plus près des personnages, est délicate, précise et poétique.

Extrait de la nouvelle Phoenix, Arizona :

A douze ans, Victor marche sur un nid de guêpes creusé dans le sol. Son pied reste coincé dans le trou et en dépit de tous ses efforts, il ne parvient pas à se dégager. Il aurait pu mourir sur place, victime de milliers de piqûres, si Thomas Builds-the-Fire n’était passé par là.
« Fonce ! » crie-t-il alors en libérant le pied de Victor.
Les deux garçons courent à perdre haleine, plus vite qu’ils n’ont jamais couru, plus vite que le coureur indien Billy Mills, plus vite que le footballeur indien Jim Thorpe, plus vite que les guêpes ne peuvent voler.
Victor et Thomas courent jusqu’à avoir les poumons en feu, jusqu’à ce qu’il fasse froid dans la nuit tombante, jusqu’à ce qu’ils soient perdus et qu’il faille des heures pour retrouver leur chemin. Et pendant ce temps-là, Victor compte ses piqûres.
« Sept, dit-il. Mon chiffre porte-bonheur. »

Vda - - 49 ans - 8 septembre 2007