Comme dans les récits de Joseph O’Connor, c’est toute la détresse irlandaise que j’ai retrouvée dans ce "Lucy" de William Trevor. L’Irlande est une terre qui a payé un lourd tribut à l’exil et à la misère.
C’est encore de ces départs forcés dont on parle dans ce livre. Everard Gault vit à Lahardane, avec sa femme Héloïse et sa fille Lucy. Un soir, on le cambriole, c’est la goutte qui fait déborder le vase de l’amertume, il décide de quitter le pays et d’émigrer avec comme premier objectif l’Angleterre. Lucy refuse de toutes ses forces de partir. Sa terre, elle s’y accroche autant qu’elle le peut (quelle détermination chez cette gamine !). Elle s’enfuit, ses parents l’imaginent noyée et s’en vont sans elle. Trevor nous fait vivre ici un grand moment d’émotion en partageant avec le lecteur le chagrin qui ronge ces parents abandonnant leur fille aux flots tumultueux. Mais Lucy n’est pas morte, elle s’était cachée et regagne la demeure familiale après le départ de ses parents. Solitaire, l’enfant cohabitera avec des domestiques, espérant chaque heure le retour de ses parents, qui n’intervient que lorsque sa maman décède. Lucy a développé un énorme sentiment de culpabilité, son père de vulnérabilité. Ces deux êtres entiers se heurtent lors de ces retrouvailles pourtant attendues. Le deuil avait été fait d’un côté, difficile de revenir en arrière.
Intense lecture qui fait passer incessamment de Lucy à Everard, partageant leurs douleurs et leurs silences. Les deux versions humaines intérieures offertes au lecteur avec tout le talent qu’on connaît de William Trevor.
Difficile de choisir, on compatit avec les deux personnages, on comprend chacun d’eux. Au final, ça rend un peu triste toute cette peine.
Sahkti - Genève - 51 ans - 7 mars 2005 |