La mort d'Auguste
de Georges Simenon

critiqué par Le petit K.V.Q., le 7 mars 2005
(Paris - 32 ans)


La note:  étoiles
Du très, très grand !
Quand on lit un Simenon, ce qu'on recherche, c'est un style, une poésie des moments banals de la vie (genre qui se retrouve dans les belles nouvelles et romans de Philippe Delerm), on recherche un univers bien particulier, des dialogues savoureux, Maigret, sa femme, le coq au vin, et plein d'autre chose. J'ai pris ce Simenon-là, à tâtons, dans la bibliothèque familiale. Je ne savais pas de quoi il parlait, juste ce titre écrit sur une vieille couverture tape-à-l'oeil d'un exemplaire Presses Pocket, aux couleurs orange, rouge et blanche : « La mort d'Auguste ». En lisant ce titre énigmatique, je ne savais à quoi m'attendre : à un polar élucidant une enquête sur la mort d'un quelconque Auguste, ou je ne sais quoi ? Non, ce livre n'est pas un polar, Simenon a renvoyé Maigret, Mme Maigret et le coq au vin au vestiaire et nous a pondu un roman magnifique sur les relations père-fils. Je vous plante le décor : nous sommes dans le quartier des Halles (quartier que, comme Zola dans « Le Ventre de Paris », Simenon fait vivre, nous en parle, on s'y croirait, cette solidarité entre les commerçants, c'est magnifique, il nous campe des lieux en moins de deux, des personnages, les Brossard, et bien d'autres). Auguste, co-propriétaire d'un bougnat (l'Auvergne est très présente dans ce livre) avec son fils, tombe tout raide, en plein milieu du restaurant, victime d'une embolie. Antoine, son fils, continue tout de même le service, et, à la fermeture du bar, morose, il contacte ses deux frères, Ferdinand, juge morne, et Bernard, sorte de malfrat embarqué dans n'importe quel coup foireux. Avec la compagne de Bernard (qui est encore dans le Midi, dans une affaire obscure) et de Ferdinand, accompagné de Véronique, sa femme, un problème se pose : l'héritage. Surtout que le vieux père, on ne retrouve pas son argent. S'ensuit une histoire plutôt lente, mais dont on est impatient de connaître le dénouement. Les grandes forces de son roman sont : la parfaite restitution des relations père-fils et entre frères, Simenon nous plante un décor en quelques pages, nous parle de personnages dont on saisit parfaitement le caractère, on retrouve toute la force du fabuleux talent de Simenon pour camper en trois mots la psychologie de ses personnages : nous comprenons Fernande, Antoine, Véronique, Nicole, Auguste, Ferdinand, Bernard, la mère devenue légume, la bonne, en quelques mots, avec concision, efficacité, taillé au plus juste, sans fioritures. Une des forces est aussi la forme : ce roman nous parle principalement de trois couples, dont les péripéties nous sont racontées tour à tour. Et c'est évidemment le style de Simenon, qui nous décrit avec une froideur absolue les mécaniques humaines, les perfidies, les hésitations, les illusions. Il est peut-être moins trépidant qu'un Maigret, mais c'est du très grand. Gide avait dit que c'était un des plus grands romanciers de notre siècle, Aymé avait parlé d'un « Balzac sans les longueurs ». Ils ont mille fois raisons : Simenon n'est pas un simple écrivailleur de polars morbides, pas un adepte du page-turner, il s'étend en longueur, mélancoliquement, pour notre plus grand bonheur.

Vraiment un très beau roman !!!
Essorés 9 étoiles

Auguste Mature, le patron du café-restaurant « Chez l’Auvergnat «, rue de la Grande-Truanderie dans le quartier des Halles à Paris, est mort. Il laisse trois fils : Ferdinand, Antoine et Bernard – sans oublier les belles-filles – et une épouse qui n’a plus toute sa tête. Et puis un héritage qui devrait être conséquent. Mais qui sera plutôt un nid à guêpes …
Les romans familiaux de Simenon sont toujours chatoyants ; mais ils sont également comparables à de mini-tempêtes qui laissent les personnages complètement … essorés. Et celui-ci ne fait pas exception.

Extraits :

- Ce n’était pas exactement de la timidité. Il regardait tout en s’efforçant de comprendre, comme pour chercher la place qu’il occupait parmi les hommes.
- Ils s’embrassaient. C’était un geste rituel, avant de se coucher chacun de son côté. Chacun était habitué à l’odeur de l’autre, à l’odeur du couple, et ils en étaient arrivés à respirer au même rythme. (…) Il restait un vide, dans le lit, entre eux deux. Aujourd’hui, il y avait des vides partout.

- Ils ne se serrèrent pas la main. Ils se connaissaient depuis trop longtemps.

Catinus - Liège - 73 ans - 25 janvier 2013