Une galerie de personnages exerçant différentes professions et évoluant à différents niveaux de l'échelle sociale se retrouvent jetés tous ensemble lors d'un pèlerinage. Le voyage s'annonce long et ennuyeux, une idée surgit alors : chacun des pèlerins racontera un "conte", le meilleur conteur se verra payer un repas par le reste de la compagnie.
Si les contes en eux-mêmes sont assez prévisibles, touchant aux thèmes les plus importants pour l'époque (chevalerie, christianisme, mariages...) ce sont les différences entre protagonistes, affectant leurs caractères et niveaux d'éducation, qui sont fascinantes. Elles se reflètent en effet dans leurs manières de s'exprimer, crue ou imagée, simple ou pompeuse, fleurie ou vulgaire grâce auxquelles Chaucer, ingénieusement, écrit un livre à plusieurs voix où le style change sans cesse, poignée de pages après poignée de pages, selon le conteur. Un tour de force remarquable, qui sert à merveille sa pantomime à la fois salace et poétique, drôle et critique.
Une richesse qui, bizarrement, fait sa faiblesse. Trop réaliste, en somme. Comme dans la vraie vie, où certaines personnes sont intéressantes et distrayantes d'autres chiantes à mourir voire lourdes, il en va de même dans "Les Contes de Canterbury", où certains raconteurs et leurs histoires sont divertissants mais d'autres franchement soporifiques. Si Chaucer en est conscient (il s'en amuse par des clins d'oeil au lecteur assez surprenants...) la lecture n'en tire pas moins, parfois, en longueurs barbantes.
Ces faiblesses mises à part (d'autant plus qu'elles sont tournés en jeu) le tout reste assez plaisant.
A noter qu'il s'agit d'une des premières oeuvres en anglais qui commence alors, en Angleterre, à éclore et s'imposer. A l'époque (fin XIVème siècle) ce dernier y supplante en effet le français, jusque là langue officielle à la cour (Henry IV d'Angleterre, couronné en 1399, sera le premier roi depuis la conquête normande à avoir l'anglais pour langue maternelle); il supplante aussi, en réaction contre l'Eglise catholique, le Latin (Wyclif traduit la Bible en anglais, langue dans laquelle, aussi, les Lollards prêchent).
Avec cette fresque Chaucer montra que l'anglais pouvait être tout autant riche, admirable, créatif et prestigieux... On sait ce que l'avenir lui a réservé !
Oburoni - Waltham Cross - 42 ans - 29 novembre 2010 |