Une vie de chat
de Yves Navarre

critiqué par Sibylline, le 16 mars 2005
(Normandie - 74 ans)


La note:  étoiles
Chat grain
C’est un procédé connu que de faire d’un animal le narrateur du roman et de tirer ainsi parti de son œil objectif et étranger pour dépeindre des situations hautement humaines. Auster l’a fait avec «Tombouctou» pour les chiens, Forlani avec «Gouttière» pour les chats, pour ne citer qu’eux, et je n’ai a priori rien contre le procédé, d’autant que je l’estime difficile et d’un maniement délicat. Honneur à ceux qui y réussissent. Ca n’a pas été entièrement le cas ici.
Thiffauge est chat d’écrivain. Il nous raconte sa vie depuis le jour de sa naissance, jusqu’à celui de sa mort. Il nous annonce même à mon avis un peu trop tôt que mort, il l’est déjà au moment où le récit commence. Je n’ai pas tout à fait saisi l’intérêt de cette complication supplémentaire et j’ai même trouvé qu’il aurait mieux valu nous laisser dans l’ignorance de ce point. Le roman y aurait gagné.
Chat d’écrivain et matou jusqu’au bout des griffes, Thiffauges l’est vraiment et on le suit au fil de ses aventures, assez souvent amoureuses. Guerrier redoutable qui vainquit le chat sauvage, c’est aussi un grand sentimental prompt à se faire rapter le cœur par quelque charmante minette, et ce récit est surtout celui de ses balancements, de ses élans sentimentaux entre ses deux femelles, pour ne rien dire de plus de cet amour aussi qui le lie à Abel, «son» écrivain. Abel, c’est, dans une certaine mesure et une mesure certaine, Yves Navarre, sans grand mystère là-dessus mais sans que cela nous apprenne grand-chose de nouveau sur lui.
Tout cela est bel et bon et se lit d’un bout à l’autre sans déplaisir, et même avec sympathie, mais, une fois l’ouvrage refermé, malgré une belle fin qui remonte un peu l’ouvrage, je me suis interrogée sur ce que j’avais lu.
Le reproche que je ferai ici à ce roman est que l’intérêt du procédé de l’animal narrateur est de porter un regard original sur les humains, pas vraiment de raconter la vie de l’animal, bien que le récit dise toujours le contraire. Or ici, je trouve qu’Yves Navarre n’est pas suffisamment allé dans ce sens. Je crois que la faiblesse de ce livre là tient à ce que le chat nous parle davantage de ses sentiments, de sa vie à lui qu’il ne nous montre ceux des humains, ce qui est contraire aux vertus du genre. Où alors, quand il le fait, son regard n’est pas assez vif, ses réflexions assez originales. Ou alors encore, il aurait pu aussi, n’accorder d’importance qu’à des existences félines, comme l’a fait Akif Pirinçci, mais il faut dans ce cas savoir utiliser ce procédé pour des considérations d’une autre ampleur.
Bref, en conclusion, un livre convenablement écrit (mais sans non plus que le style soulève mon enthousiasme absolu) et agréable à lire, mais qui m’a laissée sur une impression de type «ça aurait pu être mieux».