L'ermite
de Rick Bass

critiqué par Fee carabine, le 21 mars 2005
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Un condensé de vie en dix nouvelles
De Rick Bass, un chroniqueur du "Dallas Morning News" a pu écrire que "Probably no American writer since Hemingway has written about man in nature more beautifully or powerfully than Rick Bass". Voilà qui doit faire bondir les admirateurs de Jim Harrison, et je sais qu'ils sont nombreux sur ce site... Et pourtant, lorsqu'il évoque une vallée perdue dans les montagnes du Montana, les prairies illimitées du Saskatchewan balayées par les premières tempêtes de neige de la fin d'automne, la longue ligne ondulante dessinée sur la rive d'un lac par les cadavres d'oiseaux morts de froid, fauchés en plein vol par une de ces tempêtes, Rick Bass fait surgir devant les yeux de son lecteur ébloui un monde d'une telle de beauté que, oui, même les pages magnifiques que Jim Harrison a consacrées aux forêts des bords du Lac Michigan dans son superbe "De Marquette à Veracruz" ne peuvent vous permettre de l'imaginer...

Avec "L'Ermite", son dernier livre à ce jour, Rick Bass nous offre dix nouvelles tout aussi magnifiques les unes que les autres. Dix nouvelles pour dire la vie comme elle va. La vie de la nature: le cycle des saisons, l'éternel retour de la vie après l'hiver et la mort, les arbres tombés à terre qui en se décomposant nourrissent les survivants et les jeunes arbrisseaux qui prendront la relève, les équilibres complexes et délicats entre les espèces animales, celles qui tuent et celles qui sont tuées... Et puis la vie des hommes: les amitiés qui parfois prennent le quart ou parfois prennent l'eau, les couples qui tombent en amour, en désamour et même en réamour, ceux qui s'aiment et que la mort sépare, l'usure des jours, le temps qui passe inexorablement et ces quelques souvenirs dont on se dit qu'ils sont capables d'illuminer une vie... Et tout cela, sans grandes phrases, avec les mots justes, ni trop ni trop peu.

Il m'est impossible d'évoquer ici en détails chacune de ces nouvelles - sous peine d'écrire une critique interminable - et pourtant toutes mériteraient d'être commentées en particulier. Alors, au coup de coeur et en toute subjectivité, je voudrais vous parler plus longuement de trois d'entre elles.

"The Cave" et "Eating", deux nouvelles qui se répondent et se complétent, mettent en scène Sissy et Russel, un jeune couple pas-encore-tout-à-fait-amoureux-mais-presque, en route pour une première longue escapade en tête à tête, dans deux épisodes bien distincts, le petit-déjeuner pris dans une gargote au bord de la route (c'est fou la quantité de nourriture que Russel peut engloutir!), et l'exploration impromptue d'un puit de mine abandonné qui les mènera beaucoup plus loin que prévu, qui les rapprochera aussi bien plus que prévu... Rick Bass y décrit avec une grande justesse cet état-d'esprit-entre-deux-eaux, partagé entre attirance et réserve un peu anxieuse, mêlé de petits sursauts d'agacement et de bouffées de tendresse pour cet autre que l'on devine soudain fort et vulnérable à la fois.

Enfin, la nouvelle qui donne son titre au recueil, "L'Ermite" semble nous entraîner dans un rêve. Ann, la narratrice, s'y remémore avec émerveillement une expédition dans les prairies du Saskatchewan, à la fin de l'automne. Egarés et surpris par une tempête de neige, Ann, son coéquipier et leurs chiens durent leur salut à la découverte d'un lac gelé et asséché, un phénomène qui se produit parfois lorsqu'un lac peu profond est gelé superficiellement par les premiers froids, et que l'eau subsistant sous la croûte de glace est ensuite progressivement drainée dans le sol, libérant une cuvette où Ann et ses compagnons ont trouvé un abri relatif... Une scène d'une beauté onirique, dont je vous livre un court extrait pour conclure cette critique:

"The air was damp down there, and whenever they'd get chilled, they'd stop and make a little fire out of a bundle of dry cattails. There were little pockets and puddles of swamp gas pooled in place, and sometimes a spark from the cattails would ignite one of those, and those little pockets of gas would light up like when you toss gas on a fire - explosions of brilliance, like flashbulbs, marsh pockets igniting like falling dominoes, or like children playing hopscotch - until a large enough flash-pocket was reached - sometimes thirty and forty yards away - that the puff of a flame would blow a chimney-hole through the ice, venting the other pockets, and the fires would crackle out, the scent of grass smoke sweet in their lungs, and they coul feel gusts of warmth from the flickering fires, and currents of the colder, heavier air sliding down through the new vent-holes and pooling around their ankles. The moonlight would strafe down through those rents in the ice, and shards of moon-ice would be glittering and spinning like diamond-motes in those newly vented columns of moonlight; and they pushed on, still lost, but so alive."
L'amour de la nature et la nature de l'amour 9 étoiles

Dix nouvelles dans les grands espaces de l'Amérique du Nord, des nouvelles à double-tranchant, qui contrastent les amours en berne à la nature toujours renouvelée. Les phénomènes naturels sont autant de métaphores ou d'occasions de sonder le sentiment amoureux, et le sentiment humain au plus large.

Il y a la miraculeuse (L'Ermite), la douloureuse (Les Cygnes), l'inconfortable (Les Prisonniers), la tiraillée (Le Pompier), la profonde (La Grotte), la déclinante (La Fête du Président), la féminine (La Vraie ville), l'enlevée (Un appétit d'ogre), la vénéneuse (Distance) et la douce (Les Cerfs).

Mais en somme, toutes ont une pincée de chacun de ces qualificatifs, et si un sentiment domine c'est seulement de manière ténue, troublante. Troublante aussi est l'aptitude de l'auteur à rendre aux personnages une vie propre en si peu de lignes. Un très beau recueil.

Lobe - Vaud - 30 ans - 7 août 2014


Excellent livre en effet ! 8 étoiles

Rick Bass est un auteur que j'aime beaucoup et ces nouvelles sont en effet très bonnes. Fée Carabine parle également de Jim Harrison et il est vrai qu'il y a une légère différence. Tout d'abord, je pense que Harrison est davantage capable d'écrire un vrai roman, complet, que ne l'est aujourd’hui Rick Bass. Il tient la longueur et ses personnages n'en deviennent que plus vrais et pénètrent davantage en nous. Quant à la nature, il ne m'est pas facile d'exprimer ce que je pense, c'est vraiment une question de nuances. Je dirais que chez Bass, elle est le personnage central et est ce qu'elle est, éternelle et vivante, pour elle-même et pour ceux qui la regardent.

Chez Harrison, elle me semble être aussi une constante, elle est là, mais je dirais qu'elle a un autre rôle. C'est un peu comme si les réflexions des personnages partaient d'elle, ou qu'ils y recherchent un apaisement, une source de forces. Il agit sur eux et ne se contente pas d'être... Bref, j'ai des difficultés à exposer cette nuance que je ressens. Mon but n'est pas de diminuer les mérites de Rick Bass. Je sens simplement une différence d'approche, tout en ayant des problèmes pour l'exprimer.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 21 mars 2005