Lutetia
de Pierre Assouline

critiqué par Cuné, le 16 avril 2005
( - 57 ans)


La note:  étoiles
Poignant
Le narrateur c'est Edouard Kiefer, ancien flic des RG, détective au Lutetia, palace parisien. Il a connu la première guerre mondiale au front, et nous fait partager la seconde, de 1938 à 1945, sans bouger de Lutetia (il dit à Lutetia, comme une ville, et non au Lutetia), mais en voyageant pourtant très loin dans l'âme humaine.
Pendant l'occupation, ce sont les renseignements allemands, l'espionnage, qui occupent l'hôtel. Il lui faudra composer avec ça, sans trahir ses convictions profondes. A la libération, ce sont les déportés qu'accueillent le Lutetia. Et là .....

Un roman très fort et très travaillé, une réalité historique précise et percutante. La première partie est assez ampoulée, voire ennuyeuse, galerie de la la clientèle juste avant le début de la 2° guerre, mise en place des personnages, je n'étais pas emballée. La 2° partie, l'occupation, est parfaitement menée dans le sens où elle n'est que malaise, ignorance, compromis. Mais la 3° partie, la vie après, est bouleversante du début à la fin. Certains y voient dans l'histoire de Lutetia, un dédouanement. C'est à la fois plus, et moins que ça. Un lieu, finalement, se nourrit de ceux qui y vivent, en témoigne à jamais le passage. Alors un hôtel, à fortiori un palace...

Un tout très fort.
Beauté de l'écriture, récit mémorable! 9 étoiles

Dès les premières lignes de ce roman, oeuvre de fiction inspirée par l'Histoire, j'ai été éblouie d'abord, et par la suite, entièrement séduite par la qualité et la beauté de l'écriture de cet écrivain.
Étant québécoise, désirant en connaître un peu plus sur le personnage j'ai découvert lors de ma démarche qu'en octobre 2007, Pierre Assouline a obtenu le Prix de la langue française qui récompense « l'œuvre d'une personnalité du monde littéraire, artistique ou scientifique qui a contribué, de façon importante, par le style de ses ouvrages ou son action, à illustrer la qualité et la beauté de la langue française ».
A l'image de ce beau roman pudique illustrant de façon magistrale le mythique Hôtel Lutétia de la rive gauche de Paris, Édouard Kiefer est un héros modeste, porté par la grande et la petite histoire, guidé par un romancier habile à restituer l'émotion dormant dans les archives.
Dans un équilibre sensible et nuancé entre la précision biographique et le souffle romanesque, l'auteur redonne vie avec un art du clair-obscur à une légende fascinante marquée par des évènements tragiques et inoubliables.
Même si étrangère à ce passé et que certains passages ou allusions me sont demeurés abstraits, j'ai été profondément émue, bouleversée et choquée par l'ensemble de ce récit qui me laisse un mémorable souvenir de lecture.

FranBlan - Montréal, Québec - 82 ans - 11 juin 2011


inoubliable 10 étoiles

Cette traversée de l'histoire dans un style et un souffle à la fois romanesques et réalistes, m'a rappelée la lecture du roman d'Irène Némirovsky, "Suite française". Ses filles, venues attendre son retour à la fin de la guerre sont d'ailleurs évoquées au début du roman...
Nombre de catégories d'hommes et de femmes, nombre de destins et d'événements tissés et entrecroisés par les années de guerre sont décrits à ce carrefour que devient Lutetia. En toile de fond, Paris, les symboles de la République mise à terre, et puis parmi les nombreux portraits évoqués via le regard d' Edouard Kiefer, une description particulièrement réussie d'un "nouveau client" qui s'installe pour quelques jours à la veille de l'été 40 à Lutetia : le Général de Gaulle. A travers ce portrait, le caractère historique et mythique du Palace prend toute son ampleur. Quant à la dernière partie, elle rend tellement hommage à toute une page de la Mémoire que ce livre est une lecture indispensable.

Lilaka - - 54 ans - 23 avril 2008


Un voyage fascinant dans le passé 9 étoiles

J’ai la plume un brin frémissante au moment de débuter cette chronique sur Lutetia, l’un des derniers romans de Pierre Assouline, et ce n’est pas sans raisons. Littéraire, journaliste et historien, Assouline l’est jusqu’au bout des ongles, et il suffit de se pencher sur sa bibliographie pour en avoir le vertige. Tour à tour critique, journaliste, conseiller, écrivain, rédacteur en chef ou bloggeur à succès, l’homme a de la ressource. Assurément.

L’Histoire n’aura pas épargné l’hôtel Lutetia, unique palace de la rive gauche, ni ses occupants. Si sa fréquentation actuelle n’est en rien comparable avec celle du passé, Pierre Assouline sait par la magie des mots faire revivre l’Histoire, même à ses heures les moins glorieuses. Témoin inévitable de la seconde guerre mondiale, l’hôtel livre ses secrets au travers un narrateur à la position idéale : Edouard Kiefer.

Ancien flic des Renseignements Généraux, détective au Lutetia et responsable de la sécurité, Kiefer n’en demeure pas moins un alsacien germanophone, amoureux de l’Allemagne, celle d’avant Hitler, à sa grande époque. Vivant dans l’hôtel, célibataire, Kiefer constituera des fiches sur chacun des clients entrant au Lutetia, les conservant précieusement dans sa chambre.

A travers son histoire, c’est celle de l’Occupation qu’Assouline relate. L’arrivée des troupes allemandes dans Paris, l’exil de la population, l’installation des nazis dans les palaces, l’antisémitisme, les rafles, la torture, les déportations, rien ne lui échappera. Témoin impassible, parce que sa fonction l’exige, il poursuit sa tâche au sein de l’hôtel, avec un impératif de neutralité, refusant d’entrer dans la Résistance (mais lui rendant quelques services), ou de collaborer avec l’occupant.

Vous dire que c’est un excellent livre ne suffirait pas. Ce serait réducteur, et largement incomplet. Lutetia, c’est le mélange réussi entre un roman passionnant et un documentaire historique des plus complets, la rencontre délicate avec un personnage fictif venu nous raconter l’Histoire telle qu’elle s’est vue depuis le hall, les couloirs, les salles de réception, les sous-sols et les balcons du Lutetia. Un livre fascinant, un fabuleux voyage dans le passé qui ne devrait pas vous laisser sans interrogations.

BONNEAU Brice - Paris - 40 ans - 15 avril 2008


Un pan de notre histoire 10 étoiles

"Vu au pas de charge, un grand hôtel fait penser à un paquebot. Mais dès qu'on s'installe dans son grand salon, il évoque un théâtre dans lequel se serait déposé un précipité de la comédie humaine. Chacun revêt un habit et tient un rôle. A une nuance près : les comédiens ignorent qu'ils jouent une pièce, et laquelle."

Une excellente idée que de raconter un pan de notre histoire, celui de la Seconde Guerre mondiale à Paris, à partir d'un palace, Lutetia, et à travers le regard et les pensées du narrateur, un ancien flic des RG, Alsacien (Français du côté de son père mais Allemand du côté de sa mère). Kiefer, c'est son nom. Il connaît les moindres recoins du palace, réalise des fiches sur les clients (on y croise de grandes personnalités de la littérature) et observe.

Lutetia de Pierre Assouline, qui mêle le romanesque et l'histoire, est donc une vision analytique de la Seconde Guerre mondiale par le narrateur.
Le palace sera réquisitionné par les troupes allemandes avant de devenir un hôpital improvisé pour accueillir les rescapés des camps de la mort. "Lutetia était le seul palace parisien où l'on pouvait voir marcher des cadavres."

Cela est très bien écrit. Des passages sont même gravés dans nos esprits : "En abandonnant la lecture décidement trop déprimante de ce bulletin, j'eus le sentiment d'avoir enfin compris ce qu'était un juif aux yeux du monde. Celui qui n'est pas d'ici. Celui qui vient d'ailleurs. En somme, quelqu'un qui n'est jamais là où il devrait être."

Seul bémol toutefois à ce magnifique récit : Plusieurs pages peuvent évoquer ce qui se passe en une seule journée. Puis en quelques pages, l'histoire relate plusieurs mois de la guerre.

Nomade - - 13 ans - 27 décembre 2007


des fiches ... 7 étoiles

à l'image du narrateur qui passe son temps à faire des fiches sur les clients du célèbre palace de la rive gauche, Pierre Assouline nous comble de petits portraits qui vont de l'artiste richissime au déporté perdu en passant par les terribles soldats de l'Abwehr.

un roman en trois parties, bien construit, passionnant, une première partie légère et agréable, une deuxième, plus tendue, avec un certain suspense, et une troisième partie émouvante.

un livre très agréable à lire, magnifiquement bien écrit, peut-être un peu long, qui traduit une difficulté à conclure...

Je pense que je n'irai plus prendre le thé au Lutetia avec ma mère avec la même gaité que cela le fut avant la lecture de ce livre.


"à force de se fixer l’obéissance comme horizon moral, on en vient à abdiquer toute responsabilité"

Prince jean - PARIS - 51 ans - 18 mars 2007


Un peu trop descriptif. 7 étoiles

Edouard kiefer est le détective du Lutétia, le célèbre palace parisien, et il nous narre la vie de l’hôtel pendant la période troublée de la guerre.

Ce roman se compose de trois parties : l'immédiat avant-guerre, la guerre et l'occupation de l’hôtel par l'Abwehr le service de renseignements allemand et enfin l’après-guerre où l’hôtel se trouve être le lieu de retour à la vie des déportés.

Ces trois parties sont à mon goût assez inégales.

La première partie raconte la vie de l’hôtel classique avant guerre avec les arrivées de personnes fuyant le régime nazi. Cette première partie même si elle met en place les différents protagonistes se trouve être poussive en raison du style qui use un peu trop des observations du narrateur qui décrit ce qu'il voit, il y manque un peu de vie et de dialogues.

La deuxième partie est axée sur l'occupation et sur la vision du narrateur de la montée de la collaboration et des funestes conséquences que cela engendre. La collaboration , la résistance, la soumission et la déportation sont au coeur du récit de cette période troublée.

Enfin, la dernière partie qui se trouve être la plus captivante nous fait découvrir un épisode peu connu du retour des déportés juifs et politiques avec des réflexions fort intéressantes . La façon de les accueillir, de les remettre sur le chemin de la vie malgré tous les traumatismes subis, tout cela est fort instructif et émouvant notamment grâce aux destins individuels. Le trauma est ici abordé sans description de la vie concentrationnaire, évoquée sans être décrite.

Le destin de ce détective sera au coeur des trois époques de la vie de l’hôtel. Mon appréciation sur ce roman se trouve entachée par une première partie trop morne.

Soili - - 52 ans - 26 novembre 2006


Formidable. 10 étoiles

Bon sang, qu'est-ce que j'ai adoré ce livre.. Je dois le rajouter parmi mes préférés des préférés! J'ai tout aimé : de la première partie, descriptive et devant nos yeux un tableau se dessine, avec des personnages tous spéciaux, tous particuliers, tous uniques.. et l'ambiance d'un hôtel luxueux, le fonctionnement, les pensées du héros, ... Puis la deuxième partie, pendant la guerre, le climat de terreur, les Allemands qui occupent Paris, et enfin la troisième et dernière partie, où Lutetia, l'hôtel, se rachète en accueillant royalement les déportés, réfugiés, de tous les coins de France. Je ne raconterai pas plus, mais il faut le lire. Certains passages sont des morceaux de bravoure, des moments merveilleux, émouvants, superbement détaillés, et je ne rêve que d'une chose : en savoir plus!
Magnifique livre. Et le style est superbe. Vraiment à lire.

Daffodil - - 53 ans - 30 octobre 2006


Fantômes blafards 3 étoiles

Quel dommage qu’une plume aussi forte soit prêtée à un récit animé par un souci documentaire plutôt que romanesque ! Je me suis ennuyé copieusement avec cette procession de plus de cent personnages. On butine de l’un à l’autre, sans vraiment les connaître à fond, au gré d’anecdotes et de banalités. Le narrateur, tout comme le décor de cet hôtel est immobile, il subit l’époque sans en être réellement un acteur. On observe, on est décalé.

Il s’agit d’un morceau de mémoire d’une richesse inouïe, certes, mais un roman ? Pas vraiment. L’absence d’un fil conducteur autre que le passage du temps rend le tout froid et stérile. Assurément, l’occupation est foisonnante d’histoires fabuleuses à raconter. Mais elles ne sont pas dans ce livre.

Aaro-Benjamin G. - Montréal - 55 ans - 11 septembre 2005


Passé ressuscité 9 étoiles

Assouline donne un livre réussi, bien construit et émouvant. Les hôtels sont des amorces idéales pour l’imaginaire. Les destins s’y tressent à l’envi, permettant d’innombrables combinatoires. Mais Assouline est trop féru d’enquêtes pour donner libre cours à sa fantaisie : il s’attache à un établissement célèbre, s’imprègne de son inimaginable histoire et la transforme en une fiction passionnante et basée sur des faits réels. Le Lutetia, seul grand palace de la rive gauche parisienne, attendait celui qui transformerait son des¬tin en légende. Trois époques marquent ce livre. L’avant-guerre « Le monde d’avant », où l’hôtel était le quartier général du Paris mondain et artistique, que l’auteur fait brûler de tous ses feux. Nous y croisons Martin du Gard, James Joyce, le général De Gaulle… L’Occupation ensuite « Pendant ce temps », où il abrite les services du contre-espionnage allemand : c’est le temps de l’héroïsme et de la veulerie, du sacrifice et de l’opportunisme. Assouline puise dans sa connaissance encyclopédique de la période. Enfin la troisième période « La vie après » où l’hôtel fut réquisitionné en 1945 par les autorités françaises pour accueillir les rescapés des camps. Ce volet du livre est le plus éprouvant et le plus poignant. Manifestement, Assouline s’est servi d’une documentation des plus rigoureuse, qu’il renforce encore par son pouvoir d’évocation.
La grande idée qui porte tout l’ouvrage est celle d’avoir choisi comme figure focale le préposé à la sécurité Edouard Kiefer. Il est Alsacien et protestant. Son père était régisseur du château de Cheverny, où vivaient le marquis de Vibraye et les siens. Tout le destine à percer les Allemands à jour mieux que personne. L’Histoire lui en donnera la fatidique occasion. Ce Kiefer qui ne quitte jamais l’immeuble, qui arpente son toit pour prendre l’air ou y sonner du cor quand le règlement l’y autorise, est un prodigieux personnage. Nul recoin de l'établissement n'a de secret pour cet homme au regard chaleureux, attentif, dépourvu de complaisance. Les illustres clients de ce lieu mythique qui jalonnent le récit en accroissent l’intérêt. Le Lutetia devient alors le cadre d’un huis clos tel un théâtre dans lequel se déroule une tragédie qui le dépasse, mais qu’il symbolise aussi. Assouline parvient à nous émouvoir et nous bouleverser et là où d’autres n’auraient réussi qu’un ouvrage historique didactique, Assouline a signé un roman historique passionnant et un livre sur les méandres du destin et de l’Histoire.
C’est une force extraordinaire d’arriver à se déprendre du contexte, aussi tragique soit-il, pour se projeter dans la durée. Le chef-d’oeuvre, en toute chose, c’est la durée.

Bachy - - 61 ans - 12 mai 2005