Un, personne et cent mille de Luigi Pirandello
( Uno, nessuno e centomila)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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est-on vraiment unique?
Le narrateur de cette histoire se réveille un matin et passe un peu plus de temps que d'habitude devant le miroir... sa femme lui demande alors s'il sait finalement de quel côté son nez est tordu... le narrateur est abasourdi par cette nouvelle : il a le nez tordu? lui? et de là commence l'introspection pleine d'humour de cet homme qui va s'interroger sur la manière qu'il a de se percevoir, sur la manière dont il est perçu par le monde extérieur (femme, parents, amis, collègues, inconnus...) et constater que chacun est multiple... pensez-y... êtes-vous le même avec vos parents qu'avec vos amis? êtes-vous le même qu'il y a quelques années, quelques semaines? quelques minutes? un livre amusant et bien fichu qui fait réfléchir...
Les éditions
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Un, personne et cent mille [Texte imprimé] Luigi Pirandello traduit de l'italien par L. Servicen
de Pirandello, Luigi Servicen, Louise (Autre)
Gallimard / Collection L'Imaginaire
ISBN : 9782070224074 ; 9,50 € ; 12/10/1982 ; 288 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (4)
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Crise d'identité
Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 20 décembre 2013
Pirandello aborde ainsi le problème de l’identité : je ne me vois pas comme les autres me voient, je ne suis donc pas celui que les autres connaissent, celui que je crois être. Et chacun me voit d’une façon différente, donc je suis multiple, je suis un être différent pour chacune des personnes qui me connait. Mais le regard des autres est le contraire de celui qu’il croit qu’il est, il pense être bon et que les autres le considèrent comme tel mais, en fait, ils ne le voient que comme le fils de son père « l’usurier » et il doit assumer cette hérédité et son apparence. Il n’est en fait qu’un « parfait imbécile » qui accepte n’importe quoi et qui a laissé les commandes de la banque familiale à des gens qu’il croit de confiance.
L’auteur explique que l’homme est aussi l’héritier de ses origines et des conditions dans lesquelles il a été élevé, instruit et éduqué, sa construction dépend donc également du hasard de sa naissance. « Naître est un fait. Naître à une époque plutôt qu’à une autres, …, de tel père plutôt que de tel autre, et dans telle ou telle condition : naître fille ou garçon, en Laponie ou au centre de l’Afrique, beau ou laid, avec ou sans bosse : voilà des faits ». Ce qui est vrai aujourd’hui en un lieu ne le sera pas demain dans ce même lieu mais peut-être dans un autre, Montesquieu l’avait dit avant Pirandello qui ajoute « la vie ne conclut pas. Elle ne peut conclure. Si demain elle concluait, ce serait la fin. »
Dans ce discours sur la quête de l’identité qui peut conduire à la folie, Pirandello montre un monde factice inventé et fabriqué par les hommes pour pallier les insuffisances des ressources naturelles en milieu urbain. «Ici (à la campagne,) vous avez vu l’oiseau vrai, qui vole pour de vrai, et vous avez perdu le sens et la valeur des ailes fictives du vol mécanique. Vous le retrouverez de nouveau, là où tout est factice et mécanique, réduction et construction : un autre monde dans le monde ; un monde fabriqué, truqué, machiné, un monde d’artifices, de déformation, d’adaptation, de fiction, de vanité, un monde qui n’a de sens et de valeur que pour l’homme, qui est l’artisan ».
Ce texte qui n’est pas présenté comme un roman, n’est pas non plus un essai, ni un récit mais plutôt, à mon sens, un roman philosophique, en tout cas un livre grave même si l’auteur emprunte parfois le chemin de l’humour et de la dérision pour traiter son sujet principal qui est bien l’identité même si la matière qui le nourrit est la folie, la folie qui a affecté son épouse et qu’il redoute tant. Et, dans sa démonstration, il est amené à aborder la relativité, la place du hasard dans la destinée et la puérilité du monde moderne qu’il dénonce peut-être avant tout le monde.
« …vous renfermez en vous-même, à votre insu, non pas « deux » mais qui sait combien de personnages, tout en vous croyant, toujours « un » ».
Longuet
Critique de Yokyok (Nîmes, Inscrit le 7 août 2010, 36 ans) - 18 mai 2013
Quelques passages que j’ai trouvés très justes :
« Entre vos deux visiteurs, étrangers l’un à l’autre, mais se témoignant force égards et peut-être même faits pour s’entendre à merveille, point d’incompatibilité ; elle n’existait qu’entre les deux individus que vous avez découverts en vous. Il vous a été intolérable que ce qui était propre à l’un se confonde avec ce qui est propre à l’autre, aucune communauté n’existant entre les deux, aucune, absolument aucune, puisque vous possédez une réalité bien déterminée pour le vieil ami, et une autre pour le récent ; si diverses qu’en vous adressant à l’un d’eux, vous vous rendez compte de l’ébahissement qu’éprouverait l’autre : il ne vous aurait plus reconnu. »
« Tout ce qu’on peut imaginer sur notre compte acquiert une apparence de possibilité, même si c’est inexact. Que ce ne soit pas la vérité pour nous, les autres n’en ont cure, du moment que c’est vrai pour eux. A tel point que, si vous ne vous tenez pas solidement cramponné à la réalité que vous reconnaissez pour vôtre, il peut se faire que les autres vous entraînent à admettre que la réalité qu’ils vous confèrent est plus réelle que la vôtre même. »
Ce second extrait m’a rappelé un roman lu récemment : La Panne, de Friedrich Dürrenmatt, petit chef d’œuvre d’humour noir, qui l’illustre parfaitement.
Déçue...
Critique de Ludmilla (Chaville, Inscrite le 21 octobre 2007, 69 ans) - 16 mai 2013
Le thème de l’identité, variable dans le temps, suivant les interlocuteurs, me tentait.
Que de redites, de redondances,…
Sans parler d’un peu de misogynie :
« les femmes – nul ne l’ignore- sont tout exprès créées et mises au monde pour découvrir les défauts de leurs maris »
Sa femme se coiffe d’une façon qu’elle n’aime pas, pensant lui plaire
« elle se coiffait de cette façon qui n’était ni à son goût ni au mien, mais à celui de son Gengé, et c’était là l’essentiel. Elle lui faisait un sacrifice. Vous le trouvez mince ? Mais pour une femme, n’avait-il pas une réelle importance ? »
Bref, je n’ai pas aimé.
Qui suis-je?
Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 54 ans) - 4 mai 2013
A la fois « un » (la perception que j’ai de moi-même, la personne que je considère être), « personne » (cette idée que je me fais de moi-même n’est valable que pour moi, elle n’a aucune réalité propre, et puis je suis de toute façon en perpétuelle mutation), et « cent mille » (chaque être que je vais être amené à côtoyer va m’appréhender et me considérer à sa manière, il y a donc autant de réalités me concernant que d’yeux qui me regardent ou d’oreilles qui m’écoutent.)
Vitangelo Moscarda prend conscience qu’il n’est en rien celui qu’il croit être, le jour où sa femme lui fait remarquer qu’il a le nez tordu, chose qu’il n’avait jamais remarquée auparavant.
« Donc, les autres voyaient en moi un être qui m’était inconnu, qu’eux seuls pouvaient connaître en me regardant du dehors ; avec des yeux qui n’étaient pas les miens ; ils me prêtaient un aspect destiné à me demeurer toujours étranger, bien qu’étant celui que je revêtais pour eux (par conséquent, un « moi » qui m’échappait complètement) ; ils m’attribuaient une vie qui me demeurait impénétrable. Cette idée ne me laissa plus de répit.
Comment tolérer en moi la présence de cet étranger ? Cet étranger que j’étais moi-même pour moi ? Comment renoncer la le voir ? A le connaître ? Comment rester condamné à la porter avec moi, en moi, visible pour les autres et cependant invisible pour moi ?… »
Il sombre alors dans une véritable crise existentielle, part en quête d’une identité qui semble finalement inaccessible à partir du moment où toute réalité n’est qu’illusion puisqu’en perpétuelle mouvance (« Je me construis sans cesse, et je vous construis, et vous en faites autant") et soumise à la subjectivité de chacun, et réalise qu’aucune réelle compréhension entre les êtres n’est possible puisqu’on attend toujours telle et telle réaction de l’autre en fonction de l’image qu’on en a.
« Il s’agit de percer à jour l’effroyable bouffonnerie que recouvre le vernis des relations quotidiennes, naturelles et sereines, celles qui vous semblent les plus ordinaires et normales, et ce paisible aspect des choses que l’on nomme leur réalité, cette bouffonnerie, qui vous fait crier avec irritation , toutes les cinq minutes, à l’ami qui est à vos côtés :
- Mais pardon ! Mais comment ne vois-tu pas cela ? Tu es donc aveugle ?
Il ne voit pas cette chose, parce qu’il en voit une autre, alors que vous croyez qu’elle lui apparaît telle qu’à vous, et sous le même angle. Il la voit au contraire selon sa vision personnelle, et, pour lui, l’aveugle c’est vous. »
Moscarda va sombrer peu à peu dans la folie (c’est en tout cas ce que les « cent mille autres » vont comprendre dans son attitude), puisqu’il va s’évertuer à casser les différentes images qu’on se fait de lui, comme le « Gengé » de sa femme, l’usurier « Vitangelo Moscarda » qu’il est aux yeux du notaire et des banquiers, alors que cette image n’a été façonnée que par sa filiation, et aucunement en fonction ce qu’il « est » véritablement.
(« Pouvais-je dire que je n’étais pas moi ? Ou que j’étais un autre ? Impossible de motiver, de quelque façon que ce fut, un acte que j’accomplissais précisément pour qu’il apparut incohérent et opposé à l’idée qu’on se faisait de moi ».)
Qui est-on ? Qui est-on « vraiment » ?
Cette question, que se pose inlassablement le narrateur, elle est posée également sans répit au lecteur, qui se voit embarqué dans un tourbillon d’interrogations, qui finissent par embrouiller son cerveau, ce que l’auteur recherche (« La tête vous tourne un peu ? Donc… Donc… concluons.)
Une vraie prouesse littéraire que cette façon d’apostropher le(s) lecteur(s) (ils sont multiples) et d’instaurer une réelle discussion avec lui (eux) en anticipant de façon très juste et extrêmement fine ses réflexions, les choses qu’il pourrait rétorquer et les questions qu’il se pose lui aussi.
Les chapitres sont parfois très courts, et s’enchaînent au gré des raisonnements et de la pensée, avec un humour extrême flirtant parfois avec l’absurde, ce qui rend la lecture follement vivante.
(La fin du chapitre V, minimaliste avec vingt lignes, se termine par ces mots « Je vous dirai plus tard comment et pourquoi » et le titre du chapitre VI est : « OU PLUTOT JE VOUS LE DIS TOUT DE SUITE »)
Alchimie parfaite entre un fond qui exprime le tourment, le déraillement, la chute des certitudes, et une forme déroutante originale, avec un lecteur pris en otage et mis devant le fait accompli sans possibilité de retranchement, « Un, personne et cent mille » est un petit joyau de la littérature italienne.
Et vous, quel lecteur de ce livre êtes-vous, parmi les cent mille autres ?
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