Le mort qu'il faut
de Jorge Semprún

critiqué par Jules, le 17 avril 2001
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Un témoignage, un très bon livre
Dans son dernier livre qui vient de paraître, Jorge Semprun nous ramène presque quarante ans en arrière, à Buchenwald.
Mais ne pensez pas que ce livre pourrait être un simple « remake ».
Une lettre arrive au camp et provient des autorités de Berlin. Elle concerne Semprun et vise à savoir ce qu'il est devenu. Est-il mort ?… Est-il vivant ?. Que veut dire cette lettre ? Est-ce une menace pour sa vie, ou non ?. Tout sera fait pour préparer une réponse à une éventuelle menace et l’on prendra une décision en dernière minute, quand on connaîtra le but exact de la lettre. Voilà le sens du titre : « Le mort qu’il faut ». Là pourrait être la solution à son éventuel problème…
Cette histoire lui permet de nous montrer le fonctionnement du camp. A quel point l’influence communiste y est grande, dès que l'on quitte le niveau des SS eux-mêmes. Indépendamment de cette histoire de lettre, il est clair que son appartenance à l'obédience communiste l’a sauvé. Les communistes noyautaient quasiment toute l'organisation du camp. Il souligne à quel point il a eu de la chance !.
Le pire à Buchenwald ?… L'absence totale de solitude, l'éternel regard des autres, même pour les plus simples besoins naturels !… Semprun nous explique à quel point, pour lui, la poésie lui a souvent permis de s'évader de cette promiscuité. Il nous parle de Rimbaud, de Machado, de Verlaine, de Baudelaire, de Racine, et d’autres. Mais il nous parle aussi de ses discussions sur Gide, Giraudoux, Faulkner, dans la chaleur et la pestilence des latrines. C’était le seul endroit qui échappait aux SS et même aux kapos, qui tous fuyaient cet endroit, véritable cour des miracles.
Buchenwald était une sorte de microcosme contenant des prisonniers de plusieurs pays. Ils se réunissaient par nations pour se soutenir, mais l'organisation communiste dépassait les nationalités.
Semprun n’hésite pas non plus à nous avouer ses erreurs, alors qu’il nous raconte comment un jeune russe lui a, peut-être, sauvé la vie lors d'une corvée.
A l’époque, il nous dit y avoir vu une « incarnation de l’Homme nouveau soviétique », alors que, plus tard, il qualifiera sa vision « d’une innocence aveugle, idéologique » Et il poursuit : « Il s'est avéré, depuis, que l’Homme nouveau soviétique – l'utopie la plus sanguinaire du siècle & il faut le chercher plutôt du côté du procureur Vichinsky, ou de celui de Pavel Morozov, ce gamin qui dénonça des parents peu enthousiastes à la police de Staline, haut fait qui en fit un héros de l'Union soviétique ». Non, cet homme qui n’avait rien à attendre de lui, avait tout simplement commis un « Geste inouï, totalement gratuit…. Geste de pure bonté, donc, quasiment surnaturel. C'est-à-dire, exemplaire de la radicale liberté de faire le bien, inhérente à la nature humaine. »
La vie, la mort, la chance, le hasard, la volonté, la cruauté, la solidarité, dans des circonstances tout à fait exceptionnelles !…
Un excellent livre et une recherche toujours poursuivie sur la nature et la condition de l’homme.


Tandis qu'il agonise 7 étoiles

Si ce livre n'a pas la force de "l'écriture ou la vie", il demeure néanmoins un témoignage vibrant sur les conditions de vie (je devrais plutôt écrire de survie) à Buchenwald et les problèmes de conscience auxquels on pouvait s'y trouver confronté.
Par rapport au livre précédent, celui-ci présente la particularité de tenir dans la durée d'un week-end: pour échapper aux périls éventuels que lui ferait courir une enquête à son sujet, l'organisation communiste clandestine du camp a imaginé de faire endosser à Semprun l'identité d'un mort, ou plutôt d'un mourant à qui il ne reste plus que quelques heures à vivre. Ces heures, Semprun les passera à ses côtés, à l'infirmerie du camp, et il découvrira ainsi que celui qui, par sa mort, lui sauvera peut-être la vie, ne lui est pas inconnu. Ils ont à peu près le même âge, sont arrivés au camp en même temps et ont eu l'occasion de discuter ensemble. On devine les touments moraux que cette situation a pu engendrer chez l'auteur. Mais tout cela nous est conté avec beaucoup de pudeur, dans un style dense, dépourvu de toute complaisance.
Un beau livre donc.

Guermantes - Bruxelles - 77 ans - 23 novembre 2007


Une fatigue ou un aboutissement ? 6 étoiles

Déception. Oui, à regret, c'est un choc, une chute, après le superbe "Adieu, vive clarté" et "L'écriture ou la vie". Comme si, subitement, Jorge Semprun manquait de souffle. En écrivant cela, je me sens coupable de juger ce qu'il y a de douleur dans le travail de mémoire de cet écrivain. Mais tout au long de la lecture, j'ai eu le sentiment qu'il n'y avait pas, dans cet épisode de la vie à Buchenwald de Semprun, matière à un livre. Il paraît ressasser, par rapport aux précédents et annoncer comme une fatigue, une usure de son auteur. C'est une désolation de critiquer cet auteur que j'admire, mais peut-être l'avais-je placé trop haut ? Ou peut-être a-t-il enfin atteint l'apaisement, et cela se ressent-t-il dans le moindre embrasement de son écriture ?

Renardeau - Louvain-la-Neuve - 66 ans - 31 janvier 2003