Tout le monde le sait, Heidegger est resté en Allemagne pendant la période 1933-45. Tout le monde le sait, il avait sa carte du parti nazi (comme tous les fonctionnaires de l'époque). Ceux qui en savent un peu plus que tout le monde, en revanche, savent justement que la question est cependant délicate, parce que l'attitude de Heidegger a très vite (dès 1934) tourné à l'hostilité envers le régime. Les preuves "historiques" d'un éventuel nazisme de Heidegger sont à peu près nulles : très mal noté par le régime, constamment suspecté, peu à peu interdit de publications, Heidegger, dernier recteur librement élu de sa faculté, a, le temps de son rectorat, interdit les associations antisémites et les placards dénonçant les professeurs juifs, avant de démissionner, refusant d'assister à l'investiture de son successeur nommé par les nazis.
C'est justement parce que les preuves historiques sont à peu près inexistantes, que E. Faye change l'angle d'attaque de la critique : peu importe ce que Heidegger a fait, parce que sa pensée, elle, était nazie... Heidegger aurait rédigé les discours de Hitler (sic!), et s'il a pris rapidement ses distances avec le régime, c'est parce que celui-ci n'était pas assez radical à son goût.
Pour appuyer son hypothèse, Faye cite une collection de fragments sortis de leur contexte, le plus souvent traduits de façon très orientée, et dont il mécomprend totalement le sens: là où Heidegger critique les fondements du régime, le racisme, le biologisme, l'idéologie du sang et du sol (dès 1934), Faye parvient, à force de manipulations, à lire le contraire.
Bref, comme on dit, quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage.
Pierre Teitgen - - 68 ans - 9 juillet 2005 |