Lettre morte
de Linda Lê

critiqué par G6.jc, le 5 juin 2005
(saint amand les eaux - 44 ans)


La note:  étoiles
amer temps...
Cher Linda lê,


Ce récit en un seul paragraphe nous inonde de la tourmente de la narratrice, emprisonnée par sa culpabilité ressentie face à la mort de son père, mort seul au Vietnam, sa patrie, là où elle l’a laissé. Ce sentiment la détruit. Un amour maudit avec Morgue, cet homme dans lequel meurt toutes ses illusions, qui la maltraite et ne lui offre que le dixième de son amour, le reste allant naturellement à sa femme qu’il aime, qu’il ne désire pas quitter. Et ce père qu’elle aime, qu’elle aimait, qu’elle n’a pas su aller retrouver, quelle a laissé à mourir seul, la hante. Il ressuscite à travers sa mort parce qu’il hante cette femme qui a hésité toute sa vie à aller le rejoindre dans son pays, qui prend du temps pour se détruire et qui laisse le temps tuer l’homme qu’elle aime le plus au monde et qui meurt, la laissant vide de cet amour. La folie la guette, elle se mutile et Sirius, son ami, la soigne. Il est toujours là pour elle, comme un père prenant soin de sa fille, comme ce qu’elle faisait avec son père lorsqu’elle était enfant. Et ces lettres, ces lettres tant attendues qui n’arrivent pas, celles de son père. La mort prend sa force lorsque les lettres cessent d’arriver, c’est là que la narratrice prend conscience de la perte de l’être aimé et le réconfort de Morgue est si faible qu’il la tue encore plus. La mort de son père est la mort de son espoir de le revoir, son amour pour Morgue est la mort de tout espoir d’amour.
Ton roman n’est pas une autobiographie, mais une forme d’exutoire ou pour parler psy, une forme d’autoanalyse afin d’effectuer le travail de deuil de la mort du père, qui passe par le deuil de la mort de l’amour pour Morgue. Cela nous rappelle combien le travail de deuil est pénible et les relations humaines fragiles et douloureuses. C’est une forme de leçon de vie que tu nous donnes à voir ici, une façon de dire : « le temps est notre ennemi, méfiez-vous de lui, et n’hésitez plus à aimer et à donner aux être que vous aimez. »
Pourtant, au-delà de ce discours pour le moins dépressif sur la mort et la folie, ton style est enchantant et nous plonge facilement dans les méandres de la douleur, et même si, il faut l’avouer, ton roman évoque un mal-être qui nous a tous saigné, tu puises dans la richesse de la langue française toute la poésie qui exalte la prose et la narratrice n’en devient que plus attachante malgré ses défauts. Et une phrase me brûle les lèvres quand j’achève ce livre, un cri qui m’étouffe et que j’aurais eu envie de chuchoter à l’oreille de la narratrice : « Et si l’espoir s’incarnait juste en Sirius… »