Extase
de Susan Minot

critiqué par Clarabel, le 21 juin 2005
( - 48 ans)


La note:  étoiles
Un fossé se creuse
Le point le plus interpellant du roman, sans conteste, est cette scène unique d'un homme et d'une femme dans une chambre, lui allongé sur le dos, le regard vague, elle la bouche collée à son entre-jambe... Et la scène de se dérouler du début à la fin, en quelques 160 pages ! Une prouesse (collective) !

Pourtant ce roman de Susan Minot n'est pas un livre érotique, loin de là. Certes il se gratine quelques détails "sexuels" mais qui tournent évasivement autour de cette (longue) fellation, histoire que le lecteur n'oublie pas le décor ! Ensuite, c'est une histore somme toute banale : un homme et une femme viennent de se retrouver, il ont été amants par le passé mais leur liaison a capoté. Lui vivait avec une autre, et elle exigeait de plus en plus d'exclusivité. Leur histoire s'est soldée de hauts et de bas et chaque réconciliation s'est conclue au lit ! Pour le coup actuel, lui vit séparé de cette Vanessa depuis plusieurs mois, elle s'en doute un peu, mais ce qu'elle ne sait pas c'est qu'il ira la retrouver après, comme toutes les autres fois.

Alternativement l'auteur fait partager les pensées de Benjamin et Kay. Ils sont tous deux plongés dans le flot de leurs réflexions, et nullement à leur affaire ! Pour l'expliquer, l'auteur laisse entendre qu'il est préférable d'avoir la tête ailleurs pour rester concentré ! C'est comique, mine de rien ! Mais aussi pathétique, car quand Kay défile le film de son aventure avec Benjamin, c'est une parade misérable de promesses non tenues, de lendemains tristounets, de solitude et d'isolement. Et quand elle croyait s'en être détachée, c'est plus fort qu'elle, ce type, elle l'a dans la peau ! Alors que pour Benjamin, homme bouffi d'auto-suffisance, il se rend compte combien il n'a jamais cessé d'aimer Vanessa, sa compagne depuis onze ans ! Pour Kay, les choses semblent être différentes : plus de l'affection, à la limite de la pitié, presque de la fatalité !

Aaaahh ! les hommes sont inconstants ! "Les hommes et les femmes ne sont pas foncièrement différents dans leurs attentes, mais quand même... Ce sont leurs attitudes qui diffèrent. " Susan Minot souligne le cruel paradoxe entre l'homme et la femme, leurs façons respectives d'appréhender toute relation humaine et l'acte sexuel. C'est effarant, certes dérangeant par instants, mais c'est bien écrit, bien pensé.
Illusion de la passion 7 étoiles

Susan Minot a le chic pour placer ses personnages face à eux-mêmes. Ici encore, tout se passe en une nuit dite d’amour. Un amour qui, par le jeu subtil des monologues intérieurs des deux amants (le tout sur fond de fellation de longue durée…), devient tour à tour tendre, drôle ou pathétique. Personne ne parle et pourtant on sait tout. Benjamin Young, cinéaste à la recherche de lui-même, naviguant entre Kay et Vanessa, incapable de les comprendre, ou plutôt ne souhaitant pas le faire. Kay Bailey qui retrouve Benjamin après l’avoir laissé tomber au Mexique quelques années plus tôt et qui se dit qu’il est peut-être possible de vivre une alchimie sensuelle avec quelqu’un sans pour autant tisser de toile affective entre lui et vous. Mais est-ce vraiment possible ? Tout cela n’est-il pas qu’une illusion, un immense jeu de dupes destiné avant tout à se tromper soi-même avant de tromper l’autre ?
Outre ce miroir aux alouettes dans lequel chacun de nous se retrouve à un moment donné, Susan Minot décrit également avec beaucoup de sensibilité les différences qui existent entre une femme et un homme dans leurs rapports à la sensualité et l’affectivité, leurs exigences semblables et pourtant différentes.
Le tout avec beaucoup de douceur et d’ironie, de quoi peut-être faire passer plus facilement la pilule de l’amertume si bien décrite par l’auteur.

Sahkti - Genève - 50 ans - 21 juin 2005