Tintin (Les aventures de), tome 10 : L'étoile mystérieuse de Hergé
Catégorie(s) : Bande dessinée => Aventures, policiers et thrillers
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Classique ?
Une ville qui étouffe tant la chaleur est forte, les rats qui fuient à la recherche de la moindre fraîcheur, des pneumatiques de voitures qui explosent soudainement, le goudron qui commence à fondre, les plantes d’appartement qui meurent, et, enfin, un illuminé qui se prend pour un prophète et annonce la fin du monde… Il ne s’agit pas pour moi de prévoir l’avenir, de vous présenter de nouvelles théories sur le réchauffement de la planète mais bien de vous présenter un album des aventures de Tintin, L’étoile mystérieuse. Et dans cet épisode, tout commence avec des scènes que l’on aurait pu croire d’aujourd’hui alors que c’est en 1942 que Hergé l’écrivit…
On peut tout de suite préciser que c’est le premier album qui parut directement en couleur, qui a été conçu pour le format que l’on connaît pour les Tintin, les fameuses 62 pages. C’est banal pour les lecteurs d’aujourd’hui, mais ce fut une révolution, et très rapidement, Hergé et ceux qui vont, dès lors, travailler avec lui dans cette ébauche des studios Hergé, vont présenter au public des nouvelles versions des épisodes précédents, en couleur, certes, mais souvent entièrement repris et corrigés. C’est la naissance du style Hergé, de cette narration minimaliste – tout est dit et dessiné pour raconter une histoire, et tout ce qui est inutile à la narration est ôté – qui va bientôt porter le nom de ligne claire et dans laquelle s’illustreront de nombreux auteurs dont on retiendra, comme génie de ce mode narratif et graphique, Ted Benoît. Mais revenons à l’album…
Qui en est la star ? Oui, qui est l’étoile, dans cet album des aventures de Tintin ? Une étoile ! Mais elle est tout simplement mystérieuse… Nous allons voir cela ensemble, mais si c’est une étoile, la surprise ne sera pas longue… car, en effet, les étoiles sont présentes dès le début d’album et comme ce sont les stars, Tintin nous les montre et il n’est là que comme faire-valoir… Il est presque toujours de dos dans la première planche de L’étoile mystérieuse et il invite Milou à observer ces merveilles du ciel… Le pauvre Milou ayant levé la tête, s’étant cogné à un lampadaire, va en voir des étoiles, le pauvre… Mais c’est bien la preuve que Hergé est, en fait, très organisé et méthodique. Chaque épisode, ou presque, commence par un fait banal, ordinaire, qui donne la possibilité de plonger dans l’aventure… Tintin aperçoit une nouvelle étoile, une nouvelle venue qui s’est installée avec les habituelles de la Grande Ourse… et donc il va vouloir aller à l’observatoire pour en savoir plus… Car Tintin est un véritable curieux, ce qui l’entraîne souvent dans des histoires très mouvementées, ce qui va être encore le cas cette fois-ci…
Cette aventure est aussi, à mon avis, très bien construite et elle va avoir pour cadre les trois dimensions. Tout d’abord, elle est divisée en trois parties assez équilibrées. Une première pré-histoire, celle qui va se passer à terre, où tous les éléments se mettent en place… Une deuxième, en mer, ce qui donne la possibilité au capitaine Haddock, qui n’est arrivé dans la vie de Tintin que dans l’album précédent, Le crabe aux pinces d’or, de reprendre un commandement et d’affronter les mers déchaînées, « Une tempête ? Mais non. Un simple coup de tabac… ». Enfin, une troisième partie sur l’île elle-même, qui donnera l’occasion à Tintin de prendre les airs car le dernier déplacement, l’ultime mouvement vers cette île mystérieuse, s’effectuera en hydravion… Une histoire qui donc permet à Tintin de montrer qu’il n’est pas juste un petit journaliste mais bien un grand reporter, si on prend les mots d’aujourd’hui, et qu’il n’a peur de rien, ni des méchants, ni des éléments, ni de la fin du monde…
Quoique, pour ce dernier aspect, je suis un peu plus prudent. Dans Tintin, on ne meurt pas et donc l’angoisse de la mort d’Hergé ne transpire pas sauf dans quelques rares occasions. On peut se souvenir de la disparition de Tchang, l’ami de Tintin, qui, angoisse tellement le héros qu’il va affronter la très haute montagne pour tenter l’ultime chance de le tirer de la mort certaine… Là, dans L’étoile mystérieuse, nous voyons Tintin apprendre d’un savant que la fin du monde est pour demain… Notre jeune homme est alors complètement écrasé par la nouvelle, il déprime, il ne sait plus quoi faire… « La fin du monde, Milou ! La FIN du monde ! La fin du MONDE ! Comprends-tu Milou ? »… Il est tellement abattu, que lorsque les faits donnent tort à la science – simple erreur de calcul ! – il sort de chez lui et crie dans la rue comme un fou ! « Hourrah ! Hourrah ! Ce n’est qu’un tremblement de terre ! … » ce qui provoque la surprise des passants qui eux vivent un tremblement de terre qui semble avoir beaucoup détruit…
Mais il est complètement normal de voir cette angoisse se mettre en place dans l’œuvre de Hergé car au moment où il écrit nous sommes en pleine guerre mondiale… Alors, une fois n’est pas coutume, je vais vous montrer comment un auteur peut laisser découvrir certaines de ses idées, au travers d’un petit détail. En 1942, peu de personnes espéraient vraiment un débarquement des Américains pour sauver l’Europe… C’est le moins que l’on puisse dire ! Hergé est convaincu que c’est impossible – par idéologie ou pas, je ne répondrai pas à cette interrogation légitime mais délicate – mais dans l’album, il va mettre les Etats-Unis en échec de débarquement. C’est un tout petit quelque chose qu’il va enlever dès la deuxième édition. Les méchants, ceux qui veulent prendre de vitesse Tintin, pour prendre possession de l’île mystérieuse, nous y reviendrons, sont dotés d’une magnifique bannière étoilée qui sera remplacée pour les éditions futures par le drapeau d’un pays imaginaire, le Sao Rico… Mais ce n’est pas le seul détail que l’on peut retenir de cet album concernant les idées de Hergé, ces idées qui l’on met régulièrement au cœur des débats, à juste titre dans l’absolu, je le reconnais… Oui, deuxième élément, avant de revenir à l’histoire elle-même, il semble intéressant de se pencher sur le cas d’un des responsables des méchants, le banquier qui tire les ficelles de la machination anti-Tintin… Son nom est Blumenstein ! Oui, c’est un juif américain qui lutte contre Tintin, Tintin qui lui est soutenu par l’Europe, mais à cette époque, de quelle Europe s’agit-il ? Dans la version définitive, celle que l’on peut trouver en librairie aujourd’hui, les Etats-Unis sont remplacés par le Sao Rico, Blumestein par Bohlwinkel, mais je pense qu’une présentation complète de cet épisode de L’étoile mystérieuse devait aborder ces faits moins favorables à l’auteur. C’est pour cela que je m’annonce toujours comme tintinologue et non tintinophile… Comme quoi les mots ont une importance… enfin, pour moi, c’est sûr…
Mais revenons à L’étoile mystérieuse. Un aérolithe vient de heurter la terre. Ce ne fut pas la fin du monde, heureusement pour Tintin, enfin pour Hergé, mais Calys, directeur de l’observatoire, vient de découvrir que cette masse extra-terrestre contient un métal inconnu. Il lui donne le nom de calystène et veut être le premier sur place pour le récupérer… Aussitôt une expédition se monte et voilà l’aventure qui se profile. Le bateau choisi par les Européens, commandés par Calys en personne, sera l’Aurore. Le commandement est donné au capitaine Haddock. Mais, reconnaissons que ce bateau ne donna jamais satisfaction à Hergé. C’est l’un des seuls qu’il a dessiné sans maquette, directement, sans aucun modèle. Il a avoué que probablement ce navire n’aurait jamais pu naviguer, affronter les tempêtes, croiser les icebergs, bref, il aurait coulé tout de suite… Heureusement, dans la bande dessinée, les problèmes techniques de cette nature n’ont pas trop de conséquences et le navire connaîtra seulement une petite avarie en fin d’histoire, une broutille.
Si on prend le temps de regarder le graphisme de L’étoile mystérieuse, on constate qu’Hergé commence à soigner de façon très méthodique le mouvement. Je dis souvent qu’Hergé est le premier à avoir fait d’une image fixe une image qui vit, qui bouge… Pour cela, il utilise plusieurs méthodes, souvent combinées.
Souvent, il commence par isoler le mouvement. Quant à la page 15, Tintin, qui vient de monter à bord de l’Aurore, se prend le pied gauche dans un cordage, on ne voit que cela. Pas de décor inutile, de personnages complémentaires… non, seulement Tintin en train de tomber. Deuxième élément, il ne cherche pas à faire du réalisme, il raconte tout simplement. Donc, parfois, les positions des personnages sont atypiques, accompagnés de petits traits qui donnent des impressions de vitesse, de mouvement, d’impact et qui font vivre le dessin… Prenez cet album, oubliez le texte, ne regardez plus que les séquences de mouvement… De la première page à la dernière, ça bouge partout ! Enfin, sur la dernière, ça saute carrément…
Certaines séquences sont remarquables dans ce domaine du mouvement. Observez Philippulus le prophète fou dans les cordages de l’Aurore, Tintin prenant l’air à lavant de l’Aurore, les scientifiques ayant le mal de mer, Milou sauvé de la noyade par Tintin, Milou volant, enfin, tentant de voler les spaghettis… Toutes ces images pourraient être données en exemple aux jeunes souhaitant devenir dessinateurs de bédés…
Mais L’étoile mystérieuse est un album particulier à un tout autre titre. En effet, Hergé qui jusqu’à ce moment là était resté très réaliste dans le fond de ses intrigues ouvre la porte du fantastique. Seul, à priori à la différence de Vol 714 pour Sydney où le fantastique sortait de l’imagination de Bob de Moor…
Tout se passe sur l’île, sur l’aérolite, où le pauvre Tintin est confronté à la taille anormale des êtres vivants qui s’y reproduisent, champignons, araignée, libellule et pommier… Il a l’impression d’être arrivé dans un monde d’une autre dimension, ce qui n’est pas complètement faux puisqu’il vient de prendre pied sur un ersatz de monde extra-terrestre… Cette situation permet aussi à Hergé de laisser son imagination fonctionner à plein, son dessin d’atteindre des excès qu’il ignorait jusqu’alors… Mais c’est aussi une façon de jouer avec les nerfs des lecteurs, car une pomme géante assomme Tintin au moment où la mer est sur le point de submerger l’île…
Dans cet album, on peut aussi découvrir des petites choses bien sympathiques, ces petits clins d’œil que l’auteur sème pour notre bonheur… Citons, pêle-mêle, les caramels mous, bonbons adorés par le savant astronome Hippolyte Calys, le chargement des bouteilles de whisky du capitaine Haddock, pourtant président d’honneur du comité des marins anti-alcooliques, la choucroute garnie dont Milou a avalé la garniture, la présence du savant bien réel Auguste Piccard au moment du départ de l’Aurore et quelques gags visuels dont la pipe en page 61 (allez vite voir…).
Voilà donc un album intéressant que j’ai tenté de vous présenter avec honnêteté de façon à vous donner envie de le lire ou le relire, de comparer les deux versions actuellement disponibles en librairie, la revue et corrigée, mais aussi la première que les éditions Casterman remettent en vente actuellement en fac-similé… même quand ce n’est pas strictement à l’honneur de l’auteur… Donc, bonne lecture…
Les éditions
Les livres liés
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Les critiques éclairs (8)
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Un des plus évocateurs
Critique de Antihuman (Paris, Inscrit le 5 octobre 2011, 41 ans) - 26 octobre 2012
On se croirait dans la série Walking Dead de plus le fait est que le ton écolo concerné se prête exactement à l'actualité, aux cotés de Tintin et Milou dans ces rues au climat oppressant vous vous sentirez le dernier humain sur Terre. Ou presque.
Etrange
Critique de Bookivore (MENUCOURT, Inscrit le 25 juin 2006, 42 ans) - 12 mars 2012
Haddock devient vraiment récurrent ici, par le simple fait d'être présent.
Un début d'album étonnant, apocalyptique, qui donne une ambiance unique dans la série. Si tout l'album avait pu être pareil...
Enfin bon, 5 étoiles quand même pour l'intro géniale, l'humour assez présent et la présence d'un Haddock qui devient, ici, personnage récurrent de la saga.
(à noter, dans la version n&b parue dans "Le Soir" à l'époque, une case antisémite montrant deux juifs parlant de la fin du monde avec un fort accent yiddish, disant que comme ça, ils n'auraient pas à rembourser leurs créanciers, sera heureusement virée de toutes les versions album.)
L'étoile Mystérieuse
Critique de Exarkun1979 (Montréal, Inscrit le 8 septembre 2008, 45 ans) - 3 avril 2011
Bonne atmosphère
Critique de Nance (, Inscrite le 4 octobre 2007, - ans) - 2 décembre 2009
Le premier scénario de science-fiction catastrophe de la série, j’ai trouvé ça étrange et différent, pas nécessairement dans le mauvais sens du terme. J’aime beaucoup l’atmosphère, l’ambiance des dessins, mais je ne sais pas trop quoi penser de l’histoire. Pas dans mes préférés, mais correct.
Un polar astro-climatique à lire au premier degré
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 29 mars 2008
C'est dommage, car, sur le plan strictement littéraire, il est très bon, la trame est très prenante, les clins d'yeux intéressants, le suspense assez dense. Lu au premier degré, il est riche et très intéressant.
Tintin for ever
Critique de Julie D (Paris, Inscrite le 15 juin 2005, 63 ans) - 30 juin 2005
Tintin donne envie de voyager, Tintin passe les âges sans trouver son maître. Esprits chagrins qui prétendez préférer les Pieds nickelés ou tel autre rebelle au prétexte qu'Hergé est bien-pensant, sachez que vos gamins ne s'y laissent pas prendre. C'est Tintin qu'ils continuent à lire, et à recracher par coeur. Son côté asexué permet aux filles de s'identifier à lui, et pour ce qui est de la truculence et de la virilité Haddock est là.
Trenet le bien-pensant était le maître de Brel et de Brassens; Tintin est universel. Cessons de chercher des poux dans l'intimité de ceux qui font notre bonheur.
Je suis une Tintinophile
Critique de Lolita (Bormes les mimosas, Inscrite le 11 décembre 2001, 38 ans) - 30 juin 2005
Pourtant ce n'est que récemment que j'ai découvert cette aventure de Tintin pour le moins loufoque. Je la trouve moins réaliste que les précédents albums. Je pense également que l'on rit moins que dans Les bijoux de la Castafiore, qu'il y a moins de suspens que dans Tintin et les picaros, qu'il y a moins d'action que dans On a marché sur la Lune..... Bref, j'ai beaucoup moins apprécié que toutes les autres aventures... mais à lire quand même. Tintin reste Tintin !
Politiquement suspect, mais visionnaire
Critique de Leura (--, Inscrit le 29 janvier 2001, 73 ans) - 29 juin 2005
A côté de ça, cette histoire de morceau d'étoile tombée du ciel, ce cataclysme annoncé sont étonnamment actuels. On est plus sensible aujourd'hui aux préoccupations environnementales qu'Hergé décrivait déjà il y a plus de 60 ans.
Cet album représente aussi une charnière entre les incohérences et invraisemblances des premiers albums et la construction scénaristique plus élaborée qui s'est développée ensuite.
Comme je l'ai écrit dans le forum, je ne suis pas un inconditionnel de Hergé et je trouve que sa place dans l'histoire de la BD est exagérée par rapport à celle de gens comme Franquin ou Jijé, ou même encore Paul Cuvelier, mais cet album est néanmoins dans mes préférés.
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