Les gais lurons
de Robert Louis Stevenson

critiqué par Sahkti, le 25 juillet 2005
(Genève - 50 ans)


La note:  étoiles
Mourir par avidité
Charles Darnaway est un jeune homme épris de Dieu qui débarque sur l'île d'Aros rendre visite à son oncle et sa cousine, habité par le rêve un peu fou de mettre la main sur l'épave de l'Espiritu Santo, fabuleux navire qui a naufragé au large des côtes de cette île et dont la cargaison mettrait sa famille à l'abri de tous les soucis. L'intention est pure, Darnaway ne veut aucun enrichissement personnel mais seulement le bonheur des siens. Face à cette candeur et à ce qui pourrait passer pour le Bien, Stevenson oppose un autre visage, le Mal, celui de l'oncle qui a récemment fait main basse sur une épave et un butin. Moins prestigieux que celui recherché par Charles mais suffisant pour faire perdre la tête à cet homme jadis austère et pieux, aujourd'hui ivre de boisson et de démence.
Parallèlement à cet antagonisme entre Bien et Mal, la mer impose sa présence et ses colères. Les Gais Lurons sont des bruits fantomatiques et effrayants qu'elle fait retentir lorsque le vent se déchaîne. De quoi avoir peur. De quoi respecter la puissance marine.
Au fil de l'histoire se développe avec force le cruel dilemme qui habite l'Homme, partagé entre de bonnes intentions et d'autres plus viles. La nature a tôt fait de reprendre ses droits et Stevenson clôture son récit par un fin moraliste avec laquel le bon devenu mauvais est forcément puni pour ses péchés.
Simpliste? Pas vraiment. Stevenson a déposé énormément de lui-même dans ce récit. L'île d'Aros qu'il décrit, c'est Earraid, le Ross de Mull, le Ross de Grisopol et d'autres endroits découverts par l'écrivain lors de son enfance écossaise. Des territoires qui l'ont marqué à vie et l'ont longtemps poursuivi (on en retrouve trace dans sa correspondance), des paysages qui le font rêver à cause de leur nature cauchemardesque lorsqu'ils grondent et qui lui offrent la possibilité d'explorer de manière intime sa perception du monde et du drame. Stevenson se sent partagé, déchiré entre cette mer qui fait peur et les multiples aventures qui se déroulent sur son écume. De quoi lui inspirer de très belles pages avec ces Gais Lurons qui démontrent que Stevenson n'est pas uniquement un écrivain du voyage et de la mer, mais aussi un auteur qui s'interroge sur le bien, le mal, l'homme, le rôle de Dieu, la place de la cupidité et de la bonté dans la vie. Une réflexion à mener en refermant cet ouvrage qui sent bon récit d'aventure mais aussi l'essai sociologique.
L'île aux naufrages 6 étoiles

En ce qui concerne les descriptions des ces rugueux paysages côtiers, tout aussi sublimes que dangereux ainsi que de l'ambiance changeante de la mer pouvant passer du calme à la tempête en un clin d’œil, la plume de Stevenson est des plus efficace et offre ainsi de très beaux passages. J'ai par contre été un peu plus déçu de l'intrigue en elle-même, elle commence pourtant bien avec ce mystère autour d'une ancienne épave espagnole et des différents personnages à sa recherche puis qui bifurque totalement avant de se terminer de manière assez abrupte et frustrante. Les personnages ont également eu plus de mal à me convaincre car entre un narrateur engoncé dans ses principes, sa cousine qui est transparente au possible et son oncle sombrant peu à peu dans une folie que, personnellement, j'ai eu du mal à comprendre, je ne les ai pas trouvés plus intéressants que cela. Le seul qui s'en sort plutôt bien c'est le marin noir mais il est dommage que l'auteur se soit laissé allé à quelques remarques un peu limites à cause de sa couleur de peau.

Pour ma part j'ai donc trouvé que ce récit avait pris un bon coup de vieux, que ce soit au niveau de l'histoire et des personnages. Heureusement, le décor ainsi que l'ambiance permettent de contrebalancer cela et même si la fin est un peu décevante, la lecture n'en a pas été désagréable pour autant.

Koolasuchus - Laon - 35 ans - 2 septembre 2023