Le livre noir
de Orhan Pamuk

critiqué par Guermantes, le 30 juillet 2005
(Bruxelles - 77 ans)


La note:  étoiles
En quête d'identité
Au départ, ce livre promet beaucoup. Son cadre est une Istanbul quelque peu fantomatique, froide, irréelle, envahie par la neige. Le personnage central, Galip, découvre, à son retour chez lui, que son épouse Ruya a disparu ne lui laissant qu’un bref message (dix-neuf mots exactement !) ne l’éclairant ni sur les motifs de son départ ni sur l’endroit où elle pourrait se trouver. Commence alors une longue quête de Galip à la recherche de la disparue. En filigrane transparaît l’image du cousin Djélal, (qui est aussi le demi-frère de Ruya), journaliste qui, chaque jour, livre à ses lecteurs une chronique où il parle de tout et de rien, de l’envahissement d’Istanbul par les eaux aussi bien que de sectes soufies ou d’obscurs (pour nous) poètes ésotériques.
A un chapitre contant la quête de Galip succède un autre reprenant une des chroniques de Djélal que Galip va être amené à relire dans l’espoir d’y découvrir des indices lui permettant de retrouver celui-ci qui a également disparu et auprès duquel il est persuadé que Ruya se trouve. La traque sera longue et s’achèvera de manière tragique.
Les premières centaines de pages de ce roman (qui en compte plus de sept cents) sont fascinantes: on y découvre, sur le fond d’une Turquie en proie à bien des démons, un grouillement de personnages picaresques, d’histoires s’enchevêtrant les unes dans les autres, et toujours les mêmes interrogations récurrentes de Pamuk : qui suis-je ? Comment être soi ? Ne peut-on être soi qu’en devenant un autre? Un pays doutant de son identité peut-il survivre ? Tout cela conté à travers de fascinants jeux de miroirs où le lecteur s’égare avec ravissement.
Et puis l’auteur s’essouffle. A partir du moment où Galip retrouve l’appartement secret délaissé par Djélal et s’installe non seulement dans les meubles mais aussi dans la personnalité du chroniqueur qu’il phagocyte littéralement, l’action se ralentit et cède la place à d’innombrables et fastidieuses digressions à la fois littéraires et philosophiques, tournant toutes autour du thème obsessionnel de l’identité. L’ennui s’installe peu à peu et ne quittera plus le lecteur (enfin, je parle pour moi…) jusqu’à la fin du livre qui ne sera péniblement atteinte que quelques centaines de pages plus loin.
Bref, j’avoue que, après avoir été conquis par la lecture de « la vie nouvelle », j’ai éprouvé une déception certaine à celle du « livre noir ». Les grands thèmes chers à Pamuk y sont toujours présents, certes, mais tellement présents qu’il s’en dégage l’impression d’étouffer sous un pesant fatras à mesure qu’on progresse dans le livre. Dommage car c’était bien parti et le roman eût été une réussite si l’auteur avait pu se résoudre à l’élaguer de deux ou trois cents pages.
Fabuleux labyrinthe 10 étoiles

Guermantes a très bien planté le décor, et je n'ai rien à ajouter à sa belle présentation de ce magnifique "Livre Noir", mais pour ma part, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde, de la première à la dernière page. J'ai lu ce livre il y a plusieurs années, mais j'en garde toujours un souvenir émerveillé, comme d'un fabuleux labyrinthe - dédale des ruelles boueuses d'Istanbul, et jeux de miroirs entre la quête de Galip et les chroniques de Djélal - où je me suis perdue avec délices, en savourant ce sentiment de libération que l'on peut éprouver lorsque lâchant progressivement ses repères, on voit s'ouvrir les portes d'un nouveau monde, fut-il aussi éphémère qu'un rêve. "Le livre noir" reste un de mes grands bonheurs de lecture, bien plus que "La vie nouvelle" que j'avais lu par la suite et qui m'avait un peu déçue par comparaison.

Fee carabine - - 50 ans - 7 août 2005