Vers la sainteté

Au terme de quel parcours un jeune villageois indien illettré va-t-il devenir un saint homme entouré de disciples fervents et n’aspirant plus qu’à se fondre dans l’Ultime Réalité dont la transe et les visions lui ont donné un aperçu ? Telle est l’interrogation qui pourrait, très sommairement, résumer ce « roman » (j’hésite à employer ce terme s’agissant de cet ouvrage).
Dès son enfance, Ghopal a présenté des signes manifestes d’ « étrangeté » par rapport aux gens de son entourage, à la fois extérieurs (une apparence quelque peu hermaphrodite) et intérieurs (un goût prononcé pour la dévotion accompagné de moments où ses visions le mènent au seuil de l’ineffable). Distingué par un sâdhu qui voit en lui être exceptionnel dont le destin ne peut être que la sainteté suprême, Ghopal, encore enfant, quittera sa mère pour suivre son maître, vivre à ses côtés tout en s’imprégnant de son exemple et très vite le dépasser pour s’engager dans sa propre voie vers le détachement absolu.
Un deuxième gourou lui donnera son nom d’ascète : « Râm Dâs » et lui fera subir, dans la voie du renoncement, certaines épreuves en marge de l’orthodoxie brahmanique (consommer de la viande crue voire de la chair humaine p.ex) car « c’est le corps qui rechigne à abandonner et il a plus de mal encore à abandonner l’aversion et la répulsion que le plaisir et le désir ».
Plus tard, devenu à son tour un gourou adulé, Ghopal/Râm Dâs verra venir à lui Vivek, jeune étudiant en philosophie, plutôt rationaliste, qui deviendra à son tour son disciple et son continuateur.
Inspiré partiellement de la vie de Râmakrishna, ce livre nous plonge dans l’univers de la spiritualité hindoue dont il nous révèle un des aspects les plus troublants, celui basé sur le dévotion (bhakti), l’immersion totale du moi dans l’amour de la déité (sous le forme de Krishna essentiellement), le renoncement à toute forme d’amour physique (quoique une sensualité diffuse baigne toute l’existence de Ghopal et que ses rapports avec ses maîtres et disciples en soient constamment imprégnés).
Livre troublant que celui de Sudhir Kakar (par ailleurs psychanalyste de son état) et qu’il m’apparaît difficile de juger à partie de critères exclusivement littéraires. Il devrait en tout cas fasciner tous ceux qui sont tombés sous le charme de l’Inde dont il nous décrit ici l’un des aspects à la fois les plus éloignés de la mentalité occidentale et les plus proches des expériences « extrêmes » que, sous nos cieux aussi, des mystiques comme Thérèse d’Avila (qu’il cite nommément dans son avant-propos) ou Saint-Jean-de-la-Croix ont pu connaître. Ecrit sans a-priori ni prosélytisme, son livre apparaît comme un témoignage sur une certaine forme de réalité écrit par quelqu’un qui confesse qu’il est lui-même très loin d’être un mystique.
En guise de conclusion, je voudrais vous livrer cette citation à méditer : interrogeant son gourou sur quel dieu il convient de vénérer, Ghopal s’entend répondre ceci : « Il n’en existe qu’un, le Brahman illimité que l’on vénère sous de multiples formes, Shiva, Râma, Krishna, Hanuman, Ganesha, Durga, Kali, toutes émanations du même Dieu. Tu peux choisir d’adorer ce qui éveille en toi le plus grand amour. Nous ne sommes pas comme les juifs, les chrétiens ou les musulmans, qui ne peuvent aimer Dieu que sous la forme du père, jamais sous celle de la mère, du fils ou de l’amant ». (C’est moi qui souligne).

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  Au nom de l'extase [Texte imprimé], roman Sudhir Kakar trad. de l'anglais (Inde) par Dominique Vitalyos

  de Kakar, Sudhir Vitalyos, Dominique (Traducteur)
  Seuil
  ISBN : 9782020516341 ; 21,30 € ; 07/01/2005 ; 291 p. ; Broché

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