Raffles Hotel
de Ryū Murakami

critiqué par Duncan, le 29 août 2005
(Liège - 43 ans)


La note:  étoiles
Folie ou rêve...
Dans un chassé-croisé entre New-York, Singapour et la Malaisie, Murakami Ryû nous fait plongé dans les pensées intimes de trois personnages. Trois destins croisés qui tournent autour de la figure emblématique du « Raffles Hotel » de Singapour.

Ce roman a, au niveau de la forme, deux caractéristiques assez particulières. Premièrement, il fut écrit par Murakami Ryû à partir du scénario de son propre film « Raffles Hotel » sorti en 1989. Deuxièmement, utilisant un subterfuge déjà employé dans son roman « Kyoko », chaque chapitre voit le narrateur changer. Cet exercice est périlleux car il implique de faire vivre deux, voire trois fois les mêmes évènements sous un angle différent. Ce qui peut sembler de prime abord un peu factice permet à Murakami de démontrer la maestria qui est la sienne en terme de psychologie des personnages. En effet, les héros sont suffisamment différents, et leur pensées intimes parfois bizarres, que pour captiver le lecteur.

Ce roman dénote aussi par sa relative facilité d’accès : il n’est pas question ici d’enfants maltraités et abandonnés ou de viols dans des quartiers glauques de Tôkyô. Non, tout commence comme une banale histoire d’amour entre un photographe, Toshimichi Kariya, traumatisé par la guerre du Vietnam, et une starlette du cinéma nippon, Moeko Honma. Cette jeune fille révèlera rapidement être totalement schizophrène : hantée par l’idée que la vie n’est qu’un théâtre où nous sommes tous des acteurs plus ou moins doués, elle s’ingénie à faire de ses réactions, et ses relations, un spectacle calculé à l’avance. Manipulatrice et « possédée » par un monde imaginaire qu’elle désespère de rejoindre, elle fait sienne la fameuse réplique de la « Tempête » de Shakespeare : « We are such stuff as dreams are made on, and our little life is rounded with a sleep ». Face à cette femme captivante, d’une beauté extraordinaire mais dangereuse, le héros cherchera d’abord à fuir mais lorsqu’elle ressurgira dans sa vie, il se résignera à un destin qui semble tout tracé… La fin « Lynchéenne », entre rêve et réalité, plongera le lecteur dans le doute… qui était réel et qui ne l’était pas ? Kariya n’en sortira de toute façon pas indemne.

Exploitant dans ce roman le thème connu de la vie comme scène de théâtre ou jeu de marionnettes, Murakami Ryû ouvre dans ce roman, à travers un procédé narratif qui joue merveilleusement son rôle, de nombreuses portes sans jamais les refermer. Le lecteur est acteur de ce roman comme Moeko est actrice de sa vie. Plusieurs lectures sont possibles : soit l’histoire d’une schizophrène traversée de pulsions meurtrières qui poursuit de sa folie un photographe meurtri par la guerre… soit l’histoire d’une blessure secrète incarnée dans le corps d’une ravissante jeune femme que Kariya devra vaincre pour retrouver la paix… Le choix appartient au lecteur.

Ce livre dénote également si on le compare aux thèmes de prédilection de l’auteur que sont la violence urbaine ou le sexe (bien que certaines phrases pensées par Moeko soit d’une certaine crudité). Sans doute plus abordable que « Bleu presque transparent » ou « Miso Soup », il constitue une première étape intéressante pour découvrir l’œuvre de cet auteur déjà culte au Japon.

« Evidemment Moeko a horreur plus que tout au monde de faire une différence entre naturel et pas naturel. Elle avait l’habitude de me dire : le naturel, ça n’existe pas, si tu connais la moindre attitude sociale qui soit naturelle, tu peux me le dire. »