Le tour de la prison
de Marguerite Yourcenar

critiqué par Printemps, le 29 août 2005
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Invitation au voyage
Dans ces écrits vers la fin de sa vie, Marguerite Yourcenar nous parle d'expériences de voyages et nous invite à découvrir son expérience de l'Alaska, de San Francisco, d'une traversée du Canada, mais surtout du Japon où elle donnera une conférence à l'Institut Français intitulée Voyages dans l'espace et Voyages dans le temps, reprise à la fin de ce recueil. Nous découvrons donc des mythes japonais, Mishima, le théâtre kabuki et nô, des acteurs, Tokyo, Kyoto et ses jardins, le bouddhisme et le zen, ... Bref une plongée dans la culture japonaise avec une guide dont la culture nous éclaire et qui nous invite à découvrir l'autre, source d'enrichissement humain. Le titre de ce recueil est tiré de L'oeuvre au noir: "Qui serait assez insensé pour mourir sans avoir fait au moins le tour de sa prison ?"
"Il a découvert l'un des secrets de la vie en tout lieux et en tout temps : l'uniformité sous la variété des apparences" 9 étoiles

Un tour du monde avec Marguerite Yourcenar nous ramène très vite à la France et à sa langue. Car c'est avec elle que Marguerite joue, dévoile, passionne. Ces voyages ne sont qu'un prétexte pour nous livrer des réflexions profondes qui émergent d'une rencontre, d'un souvenir, d'un spectacle. Le pays parcouru passe alors au second plan devant cette justesse de style et de pensée, ou plutôt, il en est exalté.
"Comme toujours, quand on va loin dans cette voie, la notion même d'exotisme, le charme inhérent de loin aux pays inconnus se dissipent." Oui, nous avons beau plonger au Japon ou en Alaska, le charme ne nait pas de l'exotisme ambiant mais de la pertinence de ses idées.

Mais alors, pourquoi voyager ?
"Il y a toujours eu bien des raisons de voyager, dont la plus simple -déjà complexe - consiste à le faire pour le gain et pour l'aventure, deux mobiles difficilement séparables." Et voilà comment amorcer d'une charmante manière le récit du parcours d'Ulysse, de Marco Polo, mais aussi d'Hadrien et de Zénon, ses personnages.
Mais le voyage, c'est aussi "le bris des préjugés et des coutumes", "la recherche passionnée de tous les modes de la connaissance (...) que les siècles ont accumulée sur certains points du monde plus qu'ailleurs." La connaissance, mais aussi la culture. La culture nippone est révélée, avec ses pièces de théâtres particulières, ses marionnettes, ses mises en scène de poésie, respectivement kabuki, bunraku, nô. Mais aussi ses écrivains, et plus particulièrement Mishima, duquel elle décrit son "suicide de nostalgie, de mélancolie, de fatigue d'être allé très loin sur une route dont on ne sait pas où elle mène, qui fut celui de tant d'écrivains japonais de ce siècle".

Si ces textes honnorifient un tourisme exigeant, loin des voyages organisés actuels qu'elle condamne, où les touristes "échappent au moins en partie à la nouveauté et à la spécificité ambiante", la conférence se termine ainsi, dévoilant son ouverture d'esprit : "Nous sentons qu'en dépit de tout, nos voyages, comme nos lectures et comme nos rencontres avec nos semblables, sont des moyens d'enrichissement que nous ne pouvons pas refuser." Marguerite Yourcenar ne nous a pas oubliés, nous, lecteurs.

Elya - Savoie - 34 ans - 6 décembre 2010


Merci pour cette critique 9 étoiles

Oui, merci, car je ne connaissais pas l'existence de ce livre. Mais, au vu d'autres textes du même genre écrits par l'auteur, je ne peux qu'avoir très envie d'aller l'acheter et de le lire au plus vite. Yourcenar ne m'étonne plus dans la perfection, il y a bien longtemps que je sais qu'elle avait pour préoccupation de constamment s'en approcher, comme un Montherlant. Chacun de ces livres est un régal d'écriture, d'intelligence et de culture. Je dirais qu'elle est peut-être l'auteur le plus européen à mes yeux. Européen par les racines de sa culture et sa profondeur, mais aussi par l'éclectisme de cette culture et l'ouverture de sa grande intelligence, sa perception sensorielle du monde et des autres. Pour moi, un monument des lettres !
J'ose, sans hésitation, donner le même nombre d'étoiles, même si je ne l'ai pas encore lu.

Jules - Bruxelles - 80 ans - 30 août 2005