Youri
de Henri Troyat

critiqué par Dirlandaise, le 31 août 2005
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Deux enfants dans la tourmente
L'histoire de Youri débute en 1916 dans la Russie tsariste. La famille Samoïlov appartient à la classe privilégié des riches bourgeois. Le père de Youri, Alexandre Borissovitch, possède une tannerie. Ils habitent un immense domaine non loin de Kline, à moins de cent verstes de Moscou. Youri et Sonia, la fille de Douniacha, femme de chambre de la mère de Youri, sont du même âge et sont élevés comme frère et soeur. On ne manque de rien chez les Samoïlov et les fêtes de Noël et de Pâques sont célébrées avec fastes et opulence. Mais, soudain, le drame éclate. Le tsar est forcé d'abdiquer et les bolcheviks prennent le pouvoir. Le père de Youri est arrêté, accusé de soutenir l'armée blanche et les contre-révolutionnaires. Il sera libéré quelques jours plus tard grâce à Douniacha qui possède de nombreux amis parmi les bolcheviks. Il devra cependant partir pour Kharkov provisoirement afin d'assurer sa sécurité. Douniacha réussit à lui procurer les papiers nécessaires à son voyage. La famille le rejoindra quelques semaines plus tard. Ils réussiront à le rejoindre à bord d'un train composé uniquement de wagons à bestiaux et après avoir du séjourner dans un camp de quarantaine. Le voyage jusqu'à Kharkov sera un vrai cauchemar. Ils devront faire face à la promiscuité, la faim, le froid, le manque de confort, la menace constante d'une attaque du train par les bolcheviks. Malgré toutes les épreuves, Youri est enchanté par cette aventure qu'il vivra à travers ses yeux d'enfant et en compagnie de Sonia dont il tombera éperdument amoureux malgré son jeune âge, onze ans. Le voyage sera pour lui l'occasion de la mieux connaître et de découvrir ses secrets de filles et de future femme. La trahison de Douniacha envers la famille Samoïlov mettra fin à leur complicité et les séparera définitivement. Puis, ce sera l'exil définitif vers la France pour la famille de Youri, abandonnant avec déchirement un pays qu'il ne reverront plus.
Ce livre de Troyat est tout simplement admirable. Il n'est pas sans rappeler "Une poignée de gens" d'Irène Némirovski que j'avais beaucoup aimé. Le thème est le même. On assiste à la lente descente aux enfers d'une famille russe privilégiée qui perdra les uns après les autres tous ses privilèges et finira par ne plus rien posséder que l'espoir. Et tout ça, le lecteur le vivra à travers les yeux et le coeur d'un enfant de onze ans, qui assiste impuissant à la fin de son enfance protégée. Un roman sublime de douceur, de lucidité et de sensibilité devant les horreurs de la montée du bolchévisme en Russie. À lire absolument pour ceux que la Russie fascine.
Émotivité et lucidité 9 étoiles

Youri Samoïlov, 11ans, raconte l’histoire de sa famille pendant la guerre de Russie. Il habite à Koussinovo avec son père Alexandre, sa mère Marie, l’institutrice Zoé, Sonia et sa mère Douniacha, qui est au service des Samoïlov, et considéré comme un membre de la famille. Ces bourgeois possèdent un riche domaine. Youri rêve de devenir ingénieur et de diriger la tannerie de son père, lorsqu’il sera grand. C’est surtout à travers les fêtes que l’auteur fait sentir leur vie d’opulence. Lorsqu’à Noël, les gamins du village viennent faire une farandole autour de leur sapin décoré. « Youri et Sonia restent assis à l’écart de la ronde. Ils ne sont pas du même monde que ces enfants de moujiks ».
Pendant que Youri et Sonia s’instruisent avec Zoé et s’amusent dans la cour, les adultes s’inquiètent, car la situation politique se détériore en Russie. Puis la guerre éclate. Voilà que la fin du régime tsariste et la prise du pouvoir par les bolcheviks a des répercussions pour la famille Samoïlov. Alexandre, le père de Youri, est arrêté. Quelle chance que Douniacha ait des relations parmi les bolcheviks! C’est ce qui a permis la libération d’Alexandre, ainsi que les papiers et le sauf-conduit pour se rendre à Kharkov, pour sa sécurité. Deux semaines plus tard, les deux mères et les deux enfants iront le rejoindre. Ils seront à bord d’un train de wagons à bestiaux. Ils devront passer par un camp de quarantaine où règnent la grippe espagnole et la pouillerie. Pour contrer ce fléau, ils rasent la tête des enfants et des hommes. Sonia attristée par ce fait est vite consolée par Youri qui la serre contre lui. Ni la faim, ni le froid, ni l’odeur nauséabonde, ni mesures de salubrité dérangent nos jeunes, ils se sentent plutôt en vacances. Pour Youri, ce long voyage n’est qu’une agréable aventure. Il vit l’éveil de ses sens dans cet amour enfantin avec Sonia. À Kharkov, ils apprennent que le père est à Odessa. Des démarches bien réussies, leur permettent de le rejoindre. Youri et ses parents partiront en paquebot pour la France, en gardant l’espoir d’un retour en Russie, sans Sonia, ni sa mère devenue déloyale. Youri, toujours amoureux de Sonia, la voit partir, main dans la main avec sa mère, sans que Sonia se retourne, ce qui laisse, à Youri, un goût amer de trahison. Cette expérience transformera nos deux jeunes héros. S’envolera leur enfance sans souci et passeront au monde des adultes.

C’est un roman captivant plein d’émotivité et de lucidité. J’ai beaucoup aimé la clarté et l’efficacité de la plume de ce grand écrivain. Je me propose de choisir mes prochaines lectures parmi ses œuvres. Henri Troyat, auteur français d’origine russe, y transpose-t-il son propre vécu?

Saumar - Montréal - 91 ans - 2 mai 2012


Déchéance russe 5 étoiles

C'est un récit touchant, intéressant à plus d'un titre, notamment parce qu'il permet de vivre de l'intérieur la longue descente aux enfers d'une certaine bourgeoisie russe qui voit disparaître les uns après les autres l'ensemble de ses privilèges. C'est une société qui bascule, un bouleversement qui fait des dégâts. Avec, comme chez plusieurs auteurs russes qui ont connu l'exil et une certaine forme de déclin social (Nina Berberova par exemple) une force formidable placée dans l'espoir. C'est ce qui continue à faire vivre ces gens, l'espérance dans un futur meilleur, même si celui-ci n'arrive jamais.
Troyat apporte également beaucoup de détails explicatifs sur la vie politique et sociale en Russie; cela peut de temps en temps paraître lourd mais ça aide tout de même à s'imprégner de cette époque au point de s'y croire, un peu, beaucoup...

Sahkti - Genève - 50 ans - 11 janvier 2008