L'enquête de Juan José Saer
( La pesquisa)
Catégorie(s) : Littérature => Policiers et thrillers , Littérature => Sud-américaine
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Un tueur et un manuscrit
Pigeon Garay est un argentin qui vit à Paris. De retour pour quelques jours dans son pays natal, il raconte à deux de ses amis le récit d'un tueur qui sévit dans le 11e arrondissement et a déjà 27 meurtres de vieilles femmes à son actif. Des crimes horribles, avec viol, tortures en tous genres et une froideur qui laisse pantois d'effroi. C'est le commissaire Morvan qui est chargé de l'enquête. Il patauge un peu mais petit à petit, des éléments se dégagent. Parallèlement à ce récit policier, Juan Jose Saer narre la découverte d'un ancien manuscrit à Sante Fe, pour lequel Garay et ses deux copains embarquent pour un voyage très étrange sur un fleuve tout aussi étrange. Pigeon Garay est donc sur deux fronts en même temps: l'enquête parisienne et le texte découvert.
Plusieurs choses m'ont frappée dans ce récit de Juan Jose Saer, récemment disparu.
Tout d'abord le détachement avec lequel ses héros racontent et abordent les faits. Le commissaire Morvan est un homme distant, froid, qui semble ne ressentir aucune émotion. Excellent policier, il effectue son travail avec sérieux, on lui reconnaît de grands mérites; jamais il ne se laisse submerger par quoi que ce soit, surtout pas les sentiments. idem pour Pigeon Garay qui raconte tous ces meurtres avec force détails, sans sourciller le moins du monde. Assez étonnant, d'autant plus que ce même Garay, rentré au pays de manière provisoire, semble n'éprouver pour sa terre natale aucun amour particulier. Un peu comme si deux robots habitaient ce récit. C'est un exilé qui revient chez lui et rien ne se passe, on peut penser que le fait d'être parti a effacé tous souvenirs et émotions.
L'écriture de Saer est très dense, parfois un peu trop pour un roman policier. Les faits et autres indices sont noyés dans une masse de considérations philosophiques et de longues phrases très littéraires. Quelques mots, concrets, entourés d'une multitude d'autres mots qui n'ont rien à voir. Les digressions sont permanentes, tout comme les retours en arrière. A lire avec concentration sous peine de décrochage. J'ai personnellement moyennement apprécié ce polar trop bien écrit, confus par moments à force de vouloir trop faire. La langue de Juan Jose Saer est cependant très belle, elle convient davantage à d'autres styles d'histoires.
Les éditions
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L'enquête [Texte imprimé], roman Juan José Saer trad. de l'espagnol, Argentine, par Philippe Bataillon
de Saer, Juan José Bataillon, Philippe (Traducteur)
Seuil
ISBN : 9782020238052 ; 19,20 € ; 01/01/1998 ; 173 p. ; Broché
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une construction étourdissante
Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 79 ans) - 23 août 2015
L'intrigue, complexe, en est certes en apparence policière : un commissaire est confronté à un tueur en série de petites vieilles dans un quartier de Paris. Mais, pour le commissaire Morvan, c'est plus une quête sur lui-même qu'il mène. Il a l'impression de connaître l'assassin ou qu'il rôde autour de lui. Parallèlement, on suit en Argentine la rencontre de trois amis et on s'aperçoit que c'est l'un d'entre eux qui raconte l'histoire du fait divers parisien aux autres : Pigeon Garay, Argentin exilé depuis longtemps à Paris et qui revient pour régler un problème d'héritage. Tous trois, tout en essayant de résoudre l'énigme que leur raconte Garay, s'intéressent aussi à découvrir l'auteur d'un étrange tapuscrit posthume où le poète Washington Noriega, qui fut leur ami, récrit la guerre de Troie, sous forme de roman, lui qui détestait ce genre. Donc triple intrigue, où la forme romanesque nous porte à un haut degré d'incertitude : la narration de Pigeon Garay, tirée principalement de la lecture de la presse, ressemble plus à de l'imagination, tout en ayant l'intonation de la vérité. Son ami Tomatis proposera d'ailleurs une autre résolution de l'énigme, tout aussi compatible avec les faits. Quant au roman grec que les trois amis cherchent à décrypter aussi, il ajoute à la complexité de l'enquête, tout en nous posant le problème de la fiction, comme l'avait fait Robbe-Grillet dans son fameux roman "Les gommes", avec lequel ce roman a beaucoup de parenté.
Chemin faisant, l'auteur nous livre aussi un récit sociologique sur notre société actuelle et la civilisation de la consommation. Extraits :
"Morvan pensa qu'elle avait dû être belle dans sa jeunesse mais que, plus que les années, c'étaient les efforts qu'elle faisait pour continuer à le paraître qui l'enlaidissaient."
"Rigoureusement programmés de longue date par quatre ou cinq institutions fossilisées qui se complètent l'une l'autre – Banque, École, Religion, Justice, Télévision – comme l'est un robot par le perfectionnisme obsessionnel de son constructeur, le plus insignifiant de leurs actes et la plus secrète de leurs pensées, à travers lesquels tous sont convaincus d'exprimer un individualisme farouche, se retrouvent, identiques et prévisibles, en chacun des inconnus qu'ils croisent dans la rue et qui, comme eux, se sont endettés en une semaine pour toute l'année qui va commencer en achetant, dans les mêmes grands magasins ou les mêmes chaînes de boutiques, les mêmes cadeaux qu'ils installeront au pied des mêmes arbres décorés de petites lumières, de neige artificielle et de guirlandes dorées, pour aller s'asseoir à des tables identiques et manger les mêmes aliments supposés exceptionnels qu'on pourra retrouver au même moment sur toutes les tables de l'Occident..."
"Même si le dernier dieu de l'Occident s'était incarné comme on dit dans ce monde et s'était fait crucifier à trente-trois ans afin que les grands magasins, les supermarchés et les boutiques de cadeaux multiplient leur chiffre d'affaires le jour de son anniversaire, ses adorateurs, qui ont échangé la prière contre des achats à crédit et le culte des martyrs contre la photo dédicacée de quelque joueur de football et n'attendent plus d'autre miracle qu'un voyage de deux personnes à la loterie des jeux télévisés, avaient déserté à cause du mauvais temps les seuls lieux de culte qu'ils fréquentent avec régularité et sans le moindre soupçon d'hypocrisie : les centres commerciaux."
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