Le crabe sur la banquette arrière
de Élisabeth Gille

critiqué par Printemps, le 13 septembre 2005
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Rire du pire
Dans cet opuscule, que j'ai dévoré d'une traite, l'auteure livre son expérience d'un cancer sur un mode humoristique. Il est étonnant d'y voir à quel point le personnel soignant, les parents, les voisins, les collègues, les amis et aussi les inconnus croisés au hasard des rencontres peuvent se montrer parfois grandement déconnectés de la réalité telle que perçue par la malade et aussi à quel point ils peuvent faire plus de mal que de bien par leurs propos bienveillants. L'utilisation de la forme théâtrale donne vie à cette expérience de la condition humaine. Un grand et court récit avec une vision décalée de la maladie (son avant, son pendant et son après).
Noël au scanner, Pâques au cimetière ( P. Desproges) 10 étoiles

Ce livre court est aussi fulgurant que réjouissant.

Enfin un livre qui traite du cancer sous un autre aspect que celui de la morbidité, de l'empathie et de l'apitoiement.

L'auteur parvient malgré le peu de pages à tout dire en peu de mots, elle va là où les autres n'ont pas su aller, à l'essentiel.

Atteinte d'un cancer, la narratrice évoque au fil des pages toutes les situations que l'on rencontre quand on est en proie à cette maladie.

Des maladresses du corps médical:



Le vieux monsieur:

- Bon, eh bien, si ça vous va, je vous opère le 2.

La malade:

- Parce que vous êtes certain que c'est un cancer?

Le vieux monsieur:

- Ca, il n'y aucun doute, ne vous en faites pas, de nos jours on les guérit à cinquante pour cent.

La malade :

(pensant au cinquante pour cent qui ne guérissent pas) :- C'est une statistique très encourageante. Merci, docteur.



Le passage avec le patron qui va licencier la personne est criant de vérité.

Le patron :

- Je passe une coloscopie dans deux semaines.

La malade :

- Mais vous avez des raisons de craindre quelque chose?

Le patron :

- Mon arrière-arrière-grand père est mort d'un cancer du colon. J'espérais que mon frère en hériterait. Mais il vient de passer le même examen et il dit qu'il n'a rien. C'est bien ma chance.



On voit ici que l'auteur met en avant toutes les faiblesses et les lâchetés de ceux qui environnent le malade. Les politesses qui tournent à la bourde, je pense à la scène des cheveux. Les amis qui téléphonent à tout bout de champ. Ceux qui sont certains de détenir la vérité.



Plein de moments d'ironie traversent comme des météores le livre. On sait que les parents de l'auteur ont disparu dans les camps de la mort. A un moment elle hésite entre incinération et inhumation et se dit à elle même que sa famille a déjà donné pour l'incinération ... On appréciera ou pas.

Caustique, cynique, criant de vérité et bourré d'humour.

A mon humble avis, l'un des livres les plus courts et les plus instructifs sur le malade face au cancer. Surtout il permet de décomplexer les proches souvent plus gênés que le malade. Il fait sourire et rien que cela vaut la peine de le lire.

Là où un Fritz Zorn et son " Mars" analyse les raisons psychanalytiques et sociales du cancer, où Emmanuel Carrère avec " D'autres vies que la mienne" rend compte avec justesse de destins brisés, où Pascale Kramer avec " Un homme ébranlé" réussit un joli tour de littérature et montre un aspect froid et glacial d'une facette de la maladie, Elisabeth Gille réussit elle a faire un grand livre avec simplicité et classe. Cette classe de ceux qui savent, qui endurent et qui gardent avec dignité le sourire et crachent leur bonne humeur et leur ténacité à la figure du crabe. Malheureusement pour elle, le rideau est tombé.

Hexagone - - 53 ans - 15 février 2011


oui... 10 étoiles

Je n'ai pas lu ce livre, mais je me souviens que ma maman, malade du cancer, l'a lu et aimé juste avant de mourir...

Shelton - Chalon-sur-Saône - 68 ans - 13 septembre 2005


Vivre avec la maladie 7 étoiles

"La malade se secoue et décide d’aller à pied au Luxembourg, cadre de sa jeunesse et des ses premières amours. Le ciel est gris, ce qui l’arrange, car, par les temps qui courent, avec ses allergies, il lui est plus facile de regarder en face la mort que le soleil. Elle se croise dans les vitrines et ne se reconnaît pas. C’est ça, la maladie : on se perd de vue. On porte avant tous les autres le deuil du personnage que l’on a été et que l’on n’est plus."

Quelques mots extraits du texte d'Elisabeth Gilles et dans lesquels je me suis complètement retrouvée. La maladie avant, pendant et après (je voudrais mettre "après" entre guillemets en ce qui me concerne, car "après" est encore un peu "pendant" pour moi).
Sa manière de percevoir la maladie à travers les yeux de l'héroïne est assez conforme à la réalité. La maladie et la chimio ont effacé la personnalité de la malade pour prendre toute la place. C'est ainsi que ça se passe, la chimio étant éprouvante et dévastatrice, elle bouffe toute la vie. Alors on lui laisse prendre la place car on se sent impuissant. C'est également un moyen d'affronter ce qui se passe de manière "détournée", on subit en ne sachant pas si on peut faire autrement, ce n'est pas de l'indifférence ou de la complaisance, c'est plus subtil.
Sur ce point, Elisabeth Gilles fait preuve de beaucoup de sensibilité et également d'une impudeur qui peut donner des airs d'en faire trop, mais, à mes yeux, ça sonne juste. La maladie est une compagne de vie incontournable, l'auteur lui donne ici la place qui est vraiment la sienne, une "bouffeuse" de vie qui occupe toutes les pensées.
On pourrait reprocher à Elisabeth Gilles d'en faire trop, d'étaler dans une espèce de voyeurisme dérangeant pour certains, de peut-être trop insister sur certaines choses. J'ai lu ces critiques formulées dans ce sens dans la presse ou sur le net. A cause d'un regard trop extérieur? Je l'ai vu différemment, je l'ai calqué sur mon propre parcours et c'est, à mon avis, le meilleur moyen pour l'auteur de faire passer les notions de fragilité et d'impuissance. J'aurais sans doute eu moi aussi cette impression d'en faire des tonnes en ayant lu le livre "avant", c'est vrai que tout y est concentré, l'auteur veut tout faire passer en quelques dizaines de pages, c'est beaucoup, peut-être trop, mais avec le regard que je porte sur tout ça aujourd'hui, je ne peux qu'apprécier cette manière d'étaler les faits. Je m'y retrouve pleinement.

Sahkti - Genève - 50 ans - 13 septembre 2005