Body art
de Don DeLillo

critiqué par Saule, le 15 mai 2001
(Bruxelles - 59 ans)


La note:  étoiles
Une oeuvre opaque, pour lecteur averti !
Difficile de critiquer le dernier roman d'un auteur qu'on adore quand on n'y a pas compris grand chose.
D'autant plus que la critique professionnelle s'accorde à trouver le roman du grand art, chef-d'oeuvre de littérature et d'écriture.
Si les spécialistes le disent c'est probablement vrai mais le problème c'est que c'est vraiment difficile d'accès; l'histoire est très minimaliste et au niveau de l'écriture il faut s'accrocher tellement c'est dense et compliqué (chaque mot compte, chaque phrase peut être interprétée). A peine terminé, il vous faudra le relire afin d'assurer une compréhension minimale (c'est très court, ça aide !).
Bref un roman pour académicien ou pour lecteur (très) averti. Ce n'était pas le cas des autres de Don Delillo que j'ai lu (j'ai adoré Americana, son premier) qui bien que 'complexes' également permettent une lecture à plusieurs
niveaux. On peut les lire pour l'histoire et pour l'humour décapant de Don Delillo (Americana est particulièrement hilarant) et rien n'empêche d'affiner par la suite en lisant les très nombreuses recherches académiques effectuées sur les livres de Don Delillo (notamment le livre de François Happe dans la collection voix américaine). Mais avec Body Art, ça ne marche pas, c'est un livre qui s'étudie, pas un livre qui peut simplement se lire !
Une dépression post-traumatique 7 étoiles

Une femme divague au point de cohabiter avec un homme inconnu chez elle, avez qui elle a bien du mal à communiquer. Par les tentatives de dialogues qui ne les lient qu'assez peu, la lectrice et le lecteur apprennent qu'elle vient de perdre son mari. Elle tente vainement d'extirper son identité à cet inconnu, l'endroit d'où il vient. La démarche de ce dernier est chaotique, hésitante.
Elle semble s'inventer un double masculin qui lui manque.

L'idée du livre est intéressante, et rappelle énormément le film Sous le sable de François Ozon, où Charlotte Rampling a l'impression de continuer à vivre avec son mari, "incarné" par Bruno Cremer, dont les circonstances de la disparition en mer amènent à penser à un décès probable.

Cette dépression (post-)traumatique est intéressante, énigmatique, finit par attirer l'attention, après un début aussi lénifiant que déconcertant. Je n'ai pas apprécié que la narration s'enlise autant dans la description de la menue quotidienneté, ce qui a tendance à m'horripiler. On se retrouve avec le fonctionnement du grille-pain, la texture du carton de jus d'orange, l'eau du robinet coulant sur les myrtilles, les oiseaux sur leur mangeoire, ...
C'est certes à l'image de la protagoniste, mais cela tend à rabaisser le récit, alors qu'il décrit déjà une situation humaine pathologique. Une plus grande prise de recul et de hauteur m'aurait fait davantage accrocher, alors que j'ai apprécié l'idée générale.

Veneziano - Paris - 46 ans - 25 juillet 2014


Etrange chose … 6 étoiles

Roman ? Peut-être. Ca en a la théorique texture. Quant à l’affirmer ? Plutôt un essai sur la perte de l’autre et l’état catatonique dans lequel il peut vous plonger ? Mais non. Ce n’est pas vraiment cela non plus. Un essai sur l’état d’âme d’artistes ? Ca ne veut pas dire grand-chose non plus ? Alors va pour un roman !
Un court roman de 126 pages, 126 pages de taille réduite, mais un court qui ne lit pas rapidement. « Body art » est au roman ce qu’un cross est à la course sur route. Il y a des obstacles, des chausse-trappes, des obstacles à sauter, de la boue pour glisser … J’ai l’impression que Don Delillo ne sait pas dérouler un fil simple. Le credo de Don Delillo ce doit être l’écheveau. Emmêlé, l’écheveau.
Sur un roman de taille résolument normale, il est obligé de faire des nœuds dans les fils de l’écheveau emmêlé … On finit par s’y retrouver. Dans les romans taillés courts (Body art, Joueurs), il vous lâche dans toutes les directions en vous ayant au préalable bandé les yeux !
Ah si, j’ai pensé à quelqu’un en lisant ce « Body art » ! A Marguerite Duras, dans ces moments abscons. Oui, c’est que c’est bien écrit tout de même. Il y a des fulgurances aussi. Et c’est bien traduit. Le problème ne vient pas du style, il vient du fond. Le fond d’une mare boueuse remué.
En substance Lauren, trentenaire artiste dans le domaine de l’expression corporelle, est mariée à Rey, cinéaste célèbre, barcelonais d’origine, deux fois plus vieux qu’elle. Il va disparaître, dans les deux sens du terme, dans des conditions d’opacité telles que Lauren ne sait pas pourquoi manifestement il s’est tiré une balle dans l’appartement d’une de ses ex-femmes. Et elle ne va pouvoir faire le deuil de ce drame. Elle rentre donc dans un état étrange, dans lequel se complait Don Delillo, forcément, et n’en sortira qu’en reprenant pied dans l’expression corporelle. En substance, c’est ce que j’ai retenu. Je n’exclus pas que d’autres aient retenu d’autres choses !

Tistou - - 68 ans - 11 avril 2011


Body Art pour se débarrasser du corps 9 étoiles

Je ne suis pas critique littéraire, mais j'ai beaucoup beaucoup beaucoup aimé Body Art. C'est vrai que cette histoire ne se donne pas d'emblée et qu'il faut un peu persévérer pour entrer dedans (dix lignes pour expliquer comment préparer les cornflakes, au début ça laisse perplexe!), mais une fois qu'on s'est habitué au rythme languissant voire répétitif, on ne peut que se laisser envahir par l'espèce de vide existentiel de l'héroïne. Enfin, je dis "vide", mais au terme de la lecture je ne sais pas encore exactement ce qui a produit l'envoûtement chez moi.
Peut-être que Body Art c'est l'histoire de gens pour qui le corps n'a plus d'importance et revivent la passé, le présent et le futur dans des enveloppes corporelles qu'ils auraient empruntées, peut-être que Body Art est une histoire de deuil, le deuil d'un mari, et le tour de force de Delillo serait d'en parler sans les pathos habituels sur l'absent mais plutôt en le replaçant par un être de substitution, sorte de mémoire cosmique du disparu autant que de la veuve, peut-être que Body Art est un exercice de décorporation où l'héroïne réussit finalement sa quête qui serait de se débarrasser de son corps pour ne plus être qu'une âme errante dans les couloirs d'une immense bâtisse perdue dans la campagne (théâtre quasi unique de l'histoire).
En fait, Body Art c'est une expérience où le lecteur a l'impression de se décorporer au moins autant que les personnages.

B1p - - 51 ans - 14 janvier 2004


L'avis des critiques 6 étoiles

Hé, une petite précision, cher Saule: c'est pas parce que les critiques professionnels disent que c'est un super bouquin qu'il faut prendre leurs dires comme paroles d'évangile. D'abord, ils sont souvent de parti pris, ensuite, de par leur métier même, ils ont une vision déformée des livres...
T'aime, toi, les livres primés? Bouh!
C'est pareil pour les critiques de films et de tout le reste...
Mais bon, c'est mon humble avis, hein?

Croquette - Bruxelles - 54 ans - 19 mai 2001