Une lampe, le soir
de Erskine Caldwell

critiqué par Jules, le 3 octobre 2005
(Bruxelles - 80 ans)


La note:  étoiles
Le déclin, l'avarice et la violence
Thede Emerson et Rosa ont deux enfants, Jean et Howard. Nous sommes au début des années cinquante, dans le Maine, un état du Nord des Etats-Unis. Ils habitent une ferme dénommée Autumn Hill sur la petite commune de Clearwater. Les fermes ont été abandonnées les unes après les autres par les locaux et la forêt a regagné ses droits. Il n’y a plus de lampes à ces fenêtres. Certaines fermes ont été rachetées par des estivants, mais ceux-ci disparaissent une fois septembre venu. Ils ne sont pas appréciés outre mesure, mais ils apportent un peu d’argent et de prospérité aux commerces et quelques impôts à la commune.

D’autres fermes sont rachetées par des Canadiens français, des Finnois, des Suédois ou même des Russes. Les premiers sont appelés Canucks par les locaux. Les Scandinaves sont des Têtes carrées et les Slaves des Hunkies.

Thede porte une haine terrible à tous ces étrangers mais admet qu’ils sont le seul avenir possible pour Clearwater. Au plus grand étonnement de la ville, il finit par accepter le mariage de sa fille Jean avec Franck qui est Canuck. A ses yeux, la race américaine locale est non seulement incapable d’entretenir une femme mais, plus grave, de faire des enfants et de perpétuer Clearwater.

Nous le trouvons donc, face aux vieux du village, dans le magasin de Ben invitant tout le monde au mariage, y compris les étrangers. Thede est le seul indigène à être riche. Il a vendu la totalité de son bétail contre 200.000 dollars qu’il a mis sur un compte en banque. Il est obsédé par cet argent et les intérêts qu’il lui rapporte. De toute façon, toute sa vie, il n’a jamais traité sa femme que comme une servante gratuite et ses enfants que comme une main-d’œuvre gratuite.

Rosa a vingt ans de moins que lui et le trompe au vu et au su de tout le village. Il l’admet du moment qu’elle continue à lui faire à manger et à faire son linge et autres petits travaux. Le mariage de Jean fera qu’elle ne lui coûtera plus rien, tout en perpétuant sa lignée Quant à Howard, il voudrait faire des études à Boston mais Thede ne voudra même pas lui prêter les cinq cents dollars dont il aurait besoin. C’est trop cher mais, surtout, il compte sur lui pour qu’il l’aide à garder la ferme et maintienne des Emerson à Clearwater et une lampe à la fenêtre.

Son avarice est sordide et il ne se gêne pas pour battre ses enfants. Rosa est aussi une femme d’une dureté terrible et ne compense en rien le comportement de Thede. Cette maison baigne dans un climat dramatique de haine et de violence.

En dernière minute Thede annulera-il le mariage de sa fille avec un Canuck ? Acceptera-t-il le départ de Howard à Boston ?… Que va faire Rosa ?…

Ce petit roman, en volume, est construit comme une tragédie grecque. La tension monte sans cesse et l’on se demande comment tout cela finira. Il ne manque même pas le chœur qui, ici, est composé de la petite assemblée des vieux du village qui se tient dans l’un des deux magasins de Clearwater, celui de Ben Robinson.

Le style de Caldwell est des plus directs et les dialogues sont bien souvent plus que cinglants.

Un très bon livre qui nous décrit les problèmes des petits villages dont les populations émigrent tellement la vie y est difficile. Ici, ce sont surtout le climat et l’absence de boulots qui entraînent la désertification.
Misère dans le Maine 9 étoiles

Erskine Caldwell n’a pas écrit que sur le Sud des Etats-Unis (majoritairement néanmoins) puisqu’il s’intéresse dans « Une lampe, le soir » au statut d’Américains ruraux dans l’Etat du Maine, aux confins du Québec et du Nouveau-Brunswick dans la première moitié du XXème siècle.
Rupture géographique donc, mais pas rupture des centres d’intérêt d’Erskine Caldwell. Comme expliqué dans la préface :

« L’univers romanesque de Caldwell est celui de la pauvreté, de la vie dure, à la campagne, des laissés-pour-compte du bien-être américain. Ses personnages ne sont pas décrits psychologiquement mais selon leurs pulsions, leurs instincts. La morale n’existe pas chez ces êtres frustes, uniquement déterminés par la faim, le désir sexuel et la lutte contre la nature. »

Et pour ce qui est de la nature, on est gâté s’agissant du Maine. Une nature sauvage, un cadre aggravé de par les rigueurs du climat, notamment l’hiver. D’ailleurs c’est en grande partie le moteur du roman puisque la lampe dont il est question, c’est la lampe qu’on mettait près de la fenêtre le soir, dans les fermes, les maisons isolées, pour donner un point de repère à des qui se perdraient.
Et ferme isolée, celle de Thede Emerson l’est devenue au fil des départs de ses voisins, laissant la forêt reprendre ses droits et isolant toujours un peu plus ceux qui s’obstinent et prétendent rester. Thede est de ceux-là. Il est surtout un de ces êtres frustes évoqués plus haut avec, en particulier deux énormes composantes d’avarice et de racisme. Racisme vis-à-vis de ceux qui ne sont pas installés depuis le siècle précédent, portant de bons noms européens, vis-à-vis donc des « Cannucks », des Canadiens d’expression française, des Scandinaves, des Russes, qui viennent s’installer dans le Maine.
Thede a réussi à faire prospérer sa ferme d’élevage sa vie durant. Il a revendu son cheptel et se retrouve riche mais ne prétend pas dépenser le moindre sou. Notamment au profit de Howard, son fils, qui n’aspire qu’à partir à l’Université faire des études d’ingénieur en Génie Civil – il veut construire des ponts – ou de Jean, sa fille, employée plus ou moins comme esclave sous la coupe de Rosa sa mère et femme de Thede, qu’on ne peut décrire autrement que comme une sacrée garce puisqu’elle ne pense qu’à retrouver son amant, un drôle de numéro là encore.
Pas à dire, Erskine Caldwell sait recruter ses personnages et on n’est jamais déçu ! Tous les ingrédients sont réunis pour conduire à un drame et devinez-quoi ? On n’est pas déçu là encore ! (de toutes façons lire Erskine Caldwell c’est toujours lire un roman qui finit en tragédie)
Erskine Caldwell semble très bien connaître la nature et les conditions de vie de l’Etat du Maine qui, pourtant, n’a pas grand-chose à voir avec la Géorgie ou la Caroline du Sud !
Le drame est amené intelligemment, au travers du mariage de Jean que Thede, à la surprise générale, a consenti avec Frank Gervais, un Français, l’exemple type d’une sous-race aux yeux de Thede.
Lire Erskine Caldwell c’est toujours avoir accès à un maximum d’informations sur la vie de personnages paumés de la ruralité des Etats-Unis dans la première moitié du XXème siècle. L’étonnant dans ce roman c’est qu’on a quitté le Sud familier du sieur Caldwell et qu’il y semble pourtant toujours aussi pertinent et à l’aise.

Tistou - - 68 ans - 21 février 2018


Maintenir une lampe à la fenêtre... 8 étoiles

Encore une belle critique de Jules, pour un livre que j'ai lu il y a longtemps mais dont je garde un excellent souvenir. "Une lampe, le soir" est en effet un roman d'une grande simplicité et d'une grande force, comme porté par la marche implacable d'une tragédie grecque car telle est bien la comparaison qui s'impose. Et puis, il y a une grande force aussi dans l'image de cette lampe, le soir, à la fenêtre de la ferme des Emerson. Une image qui évoque la chaleur d'un refuge et la douceur d'une atmosphère familiale, mais qui recouvre ici une toute autre réalité qui s'en trouve d'autant mieux mise en évidence. Un symbole qui s'est vidé de son sens, de tout ce qu'il contenait de vie, pour ne plus laisser qu'un masque sinistre...

Un livre très recommandable!

Fee carabine - - 50 ans - 5 octobre 2005