Le témoignage est un combat de Jean Lacouture
Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances
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Le fabuleux destin de Germaine Tillion
Ethnographe dans les Aurès avant la guerre, déportée à Ravensbrück
en octobre 1943, libérée en avril 1945 par la Croix Rouge, en même temps que 300 autres détenues, Germaine Tillion n'avait pas dit son dernier mot.
Après ces épreuves, elle recommence une vie nouvelle tout aussi houleuse et tout aussi remplie de dangers.
A Ravensbrück, le principal camp de concentration pour femmes, situé à 50 km de Berlin, en compagnie de Polonaises, Soviétiques, Juives, Allemandes , Françaises et Tziganes, elle commence un chemin de croix, une épreuve terrible de dix-huit mois de souffrances et d’horreurs. Elle fait partie elle-même des “Nacht und Nebel"( Nuit et Brouillard), un décret de décembre 1941 inspiré par Hitler, signé et appliqué par Keitel, chef de l'O.K.W.( Haut commandement de la Wehrmacht). Ce décret ordonnait la déportation, après interrogatoire et torture, dans les camps de concentration en Allemagne, des résistants, "terroristes “, saboteurs, responsables de réseaux, agents parachutés, etc. Ceux et celles que les cours martiales allemandes n’avaient pas condamnés à mort tomberont sous le coup de cette ordonnance et seront remis à Himmler.
Les N.N. devaient être isolés, aucun renseignement sur leurs lieux de détention et, le cas échéant, du lieu de leur décès ne devait être fourni. Les N.N., aux couleurs vives peintes sur leurs vêtements “vivaient" dans des baraquements séparés, étaient affectés aux chantiers les plus difficiles, soumis aux sévices des S.S. et des kapos, avec privation de nourriture, stations interminables sur les places d'appel (cfr. Roger Boulanger,ancien déporté du camp de Natzweiler-Struthof qui en a fait l'historique).
“Je sais que là où il y a danger, on vous trouve toujours “ lui écrivait Marcel Mauss, son premier maître en ethnographie. A Ravensbrück, sa personnalité irradiante, courageuse, pleine d’humour, font merveille au milieu de ses compagnes.Son moral est d'acier, elle vit, survit, aide à survivre parce qu’elle est une grande ethnographe et qu’elle considère aussi le camp comme un terrain d’investigation privilégié, ce qui lui donne une force supplémentaire. Elle a l’immense douleur de perdre sa mère, présente à Ravensbrück, et qui est envoyée in extremis au four crématoire. Elle surmonte son désespoir.
Au cours des années qui suivent la fin de la guerre, elle représente ses camarades dans les procès, prépare la rédaction d'une oeuvre collective “ Ravensbrück" ( avec Geneviève de Gaulle, elle aussi emprisonnée), parue en 1946. Cet ouvrage sera remanié en 1973 (dernière édition en 1988) et sera contesté, remis en question. Jean Lacouture nous l'explique : " le harcèlement ne vint pas seulement de ceux que Vidal-Naquet a désignés comme "l'abjecte petite bande" des négationnistes, pas seulement de quelques intégristes de la Shoah qui se refusent à admettre qu'aux côtés des innombrables martyrs juifs, les chambres à gaz en exterminèrent aussi qui ne l'étaient pas." (p.326). Dans une lettre adressée en 1989 à Pierre Vidal-Naquet, Germaine Tillion écrit que “ Ravensbrück ne fut que le rayon d'une roue, l'immense roue tournante concentrationnaire. Au coeur, il y eut la flamme du génocide juif".
Jean Lacouture est un écrivain, un biographe prolifique et hors-pair : Léon Blum, Pierre Mendès-France, de Gaulle (trois tomes), “ Jésuites" (2 tomes), Mitterrand, etc. Et enfin Germaine Tillion, qu'il connaît depuis plus de quarante ans, et pour laquelle il éprouve une affection et une admiration ferventes. Son charisme est extraordinaire. Elle est de tous les combats: entretien de la mémoire des camps de concentration, retour en Algérie en 1954,défense du peuple algérien en compagnie de François Mauriac, création des Centres sociaux,lutte contre la "clochardisation", (un terme inventé par elle), grande enquête, en 1957 sur les camps révélant le système concentrationnaire à l’algérienne (les camps d’hébergement ou de regroupement, ces doux euphémismes) et la généralisation de la torture, avocate de l'émancipation de la femme méditerranéenne.
L’après-guerre, pour elle, ne manque ni d’imprévus ni de coups d'audace: elle prend place dans l'équipe de Jacques Soustelle, ethnologue comme elle, arrivé en Algérie en 1955. Après l’horrible massacre (Zirout Youssef, 71 morts européens) du 2 août 1955, Soustelle est bouleversé et change son fusil d’épaule: la vraie guerre d’Algérie commence. Ce qui n'empêche pas Germaine Tillion d'être mise en contact avec Yacef Saâdi, chef des poseurs de bombes qui ne refuse pas tout à fait un arrêt simultané des violences, Yacef Saâdi échappera à la condamnation à mort, sera jugé en
juin, juillet et août 1958 et finalement gracié par le Général de Gaulle.
Elle n'a pas peur d’aller à contre-courant: elle se refuse de faire endosser au peuple allemand la responsabilité de l’Holocauste. En Algérie, elle n'a jamais minimisé les atrocités de l’autre camp.
Le fonds de cette nature d'exception se manifeste par cette fulgurante passion du témoignage :" communiquer, expliquer, enseigner. Ce courage indomptable , ce “culot" avec ou sans auto-ironie, qui la dresse en juin 1940, contre le IIIe Reich, ce goût de la langue précise et du mot juste... Elle inspirait à tous, dit encore Vidal-Naquet, un immense respect dû à une sorte de netteté dans le regard et le comportement, un mélange unique de courage et d'humour. Et enfin, “le regard qu'elle plante dans le vôtre, en tous cas, derrière les lunettes rondes, n'est pas celui de la cautèle et appelle au plus clair des échanges, en vue de la connaissance. " Voilà ce que je suis, ce que je sais. Et vous? Etes-vous d'accord ?"
Germaine Tillion a 93 ans. Jamais surmenée ni démoralisée. Elle répétait: “dans l'ordre des choses humaines, il n'y a pas de situation si tragique qu'elle ne comporte, scientifiquement, au moins 5 % de chances de retournement, de recours."
Les éditions
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Le témoignage est un combat [Texte imprimé], une biographie de Germaine Tillion Jean Lacouture
de Lacouture, Jean
Seuil
ISBN : 9782020404013 ; 21,00 € ; 29/09/2000 ; 339 p. ; Broché
Les livres liés
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Les critiques éclairs (2)
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Détermination et courage d'une femme face à l'adversité
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 12 septembre 2010
Ce livre ressemble plus à un traité d’histoire qu’à une biographie, l’auteur ayant privilégié le contexte historique et les faits marquants plutôt que la vie intime de Germaine Tillion. Je trouve un peu dommage que les aspects familiaux et intimes de cette femme aient été occultés par l’auteur. J’aurais aimé en apprendre plus sur la vie sentimentale et sur les habitudes quotidiennes de la célèbre ethnographe. Ces aspects qui me semblent indispensables à toute bonne biographie sont manquants et je n’ai pas l’impression de bien connaître cette femme admirable. Par contre, j’ai beaucoup appris sur la Résistance, la vie à Ravensbruck, le procès des tortionnaires, l’Algérie et son combat. L’auteur puise abondamment dans l’œuvre de madame Tillion et émaille son récit de passages tirés des livres de celle-ci.
C’est une lecture qui demande un effort mais qui reste tout de même passionnante. Le récit de la vie à Ravensbrück comporte des passages cauchemardesques susceptibles de marquer les âmes sensibles. Une vie hors du commun et un bel exemple de détermination et de ténacité face à l’adversité.
De l'esprit de Résistance
Critique de RC Sanders (, Inscrit le 26 septembre 2004, 66 ans) - 26 septembre 2004
L'engagement de Germaine Tillion dans la Résistance puis dans son métier d'ethnographe en Algérie fut marqué en permanence par l'"esprit de Résistance" dont parle Serge Ravanel dans le livre d'entretiens publiés ces jours chez Privat, "Les valeurs de la Résistance" (avec Henri Weill).
Les hommes et les femmes qui s'étaient battus contre le nazisme et l'Etat français de Vichy étaient motivés par le constat qu'il fallait tout tenter pour changer en profondeur, après la Libération du pays et de l'Europe, les structures d'une société occidentale qui avait permis l'avènement de l'hitlérisme et l'imposition d'un racisme devenu doctrine d'Etat.
Si certains mouvements de la Résistance intérieure "apolitique" n'avaient pour but "que" de virer l'occupant nazi et de rétablir la situation d'avant-guerre, le combat clandestin des militants du réseau du Musée de l'Homme, certains cadres de "Combat", ceux de "Libération" ou de "Franc-Tireur" étaient mûs, eux, par le désir qu'une véritable révolution socio-économique de type socialiste humaniste (un peu à la manière d'un travaillisme à la française) accompagnât la Libération et la victoire sur le nazisme et le fascisme. Mais ils furent frustrés de ce changement dès l'automne 44, quand de Gaulle, avec l'aide des staliniens du PCF obéissant aux ordres de Staline, rétablit ce qui allait vite redevenir, après la retraite de de Gaulle, la République des partis et des combinaisons, cette navrante IVe République.
Germaine Tillion repartit pour l'Afrique du Nord où en 1955 elle tenta sous le mandat de Jacques Soustelle de mettre en pratique auprès des populations arabe et kabyle des mesures trop tardives qui n'empêcheront pas la guerre de faire des ravages dans toutes les communautés. (arabe, juive, européenne et kabyle.)
Le beau livre que lui a consacré Jean Lacouture nous rappelle que Germaine Tillion fut durant toute sa vie une militante lucide des droits de l'homme et des peuples, une résistante contre la bêtise, le racisme et la dictature, qu'elle soit politique ou économique.
Son engagement me semble terriblement contemporain.
Cordialement,
RC Sanders
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