Valérie Clo par Agnès Figueras-Lenattier, le 1 juillet 2015
Dans la troisième phrase du livre " La tyrannie des apparences", l'héroïne dit ceci : " J'ai presque 18 ans, et je traque mes premières rides avec impatience". On a déjà là tout le thème du livre!
C'est exactement ça, je ne me souvenais plus de cette phrase du début. C'est le contraire de notre société actuelle; j'ai renversé les codes..
Comment vous est venue cette idée de livre?
En regardant une affiche publicitaire sur une crème anti rides. On en voit tout le temps, et je me suis dit " Si on vivait dans un monde où la norme sociale serait la maturité plutôt que la jeunesse." L'idée m'est venue ainsi, et j'ai rédigé quelques pages. En fait, j'ai écrit les 5 premières pages avant " Les gosses". Mais ça me faisait un peu peur de vraiment partir dans la fiction, et j'ai mis le livre de côté. J'ai repris après en me disant que finalement l'idée n'était pas si mauvaise que cela. Et j'ai continué..
Ça ne vient donc pas d'expériences autour de vous!
Non. Je pense que c'est un peu ce que je perçois de la société, et ce que j'entends autour de moi. Tout ce que l'on entend sur les séniors qui n'arrivent plus à trouver d'emplois. C'est un fait que dans le domaine de l'audiovisuel, de la communication, de l'informatique, ce sont plutôt des jeunes qui sont à la tête de ce genre de sociétés. Je pense que c'est un ensemble qui m'a donné l'idée de ce livre..
A un moment donné l'héroïne Thalia a un soupirant de 30 ans de plus qu'elle qui la regarde avec dégoût. Vous y allez fort!..
J'y vais fort c'est vrai. Ça m'étonnerait que ça existe, mais je me suis amusée..
Thalia a un père qui est beaucoup plus âgé que sa femme. Celle-ci craint les femmes bien plus âgées qui tournent autour de son mari!
Dans ce monde là, on peut vivre très longtemps. Mais alors que l'on remplace tous les organes du corps humain, la reproduction est compliquée. En fait, les hommes mûrs qui préfèrent les femmes mûres ne peuvent pas avoir d'enfants avec elles. Ils sont donc obligés de prendre une jeune. Mais ils ne sont pas satisfaits, ce qui n'est pas le cas dans notre société..
Autre pointe d'humour: les femmes attendent leur ménopause avec impatience!
Effectivement, et si on voyait les choses autrement (rires).. Tout est une question de point de vue, de mode. Je m'amuse à ça.. De là à ce que ce soit la réalité, c'est une autre histoire... Mais il me semble que dans l'Antiquité la mode était plutôt basée sur la maturité. Selon moi, la vie est un éternel recommencement.
A un moment donné vous comparez les deux mondes!
Mon héroïne qui vit donc dans ce monde où la maturité a le pouvoir trouve dans un livre le témoignage d'une femme âgée d'une cinquantaine d'années qui souffre du jeunisme. Elle travaille au sein d'une société de communication, et se sent un peu rejetée. On pense qu'elle est trop vieille et qu'elle n'a pas d'idées. Elle est victime du jeunisme ambiant que nous connaissons.
Ce livre fait réfléchir Thalia et elle s'en sort grâce à ce témoignage! Espérez-vous également que " La tyrannie des apparences" fasse réfléchir les lecteurs?
Maintenant que je l'ai fini, j'aimerais bien. Peut-être aussi parce que je me pose également des questions. J'ai 45 ans, je suis dans une autre phase de ma vie, et je me demande comment va se dérouler le futur. Vais-je accepter de vieillir?, Vais-je vouloir faire des changements? Ce livre a répondu à la question.
C'est à dire?
Je pense que je vais laisser faire le temps. Je suis curieuse de voir. Je me trouve dans une phase plutôt d'acceptation. Si ça peut inciter d'autres personnes à se poser des questions, tant mieux. J'écris toujours avec une envie de partage. Partager des émotions, faire rire, mais aussi par moment bousculer ou faire réfléchir.
Quelle position adoptez-vous vis à vis de la chirurgie esthétique? Plutôt pour, contre?
Chacun fait ce qu'il veut, et la chirurgie peut parfois être nécessaire. De nombreuses personnes y trouvent un meilleur équilibre. Je suis contre la chirurgie esthétique à outrance. Par moment on peut se demander pourquoi les gens y ont recours. On voit des chirurgies ratées, et puis tout le monde se ressemble. C'est dommage. Pourquoi vouloir forcément changer de visage? Mais après tout, chacun fait comme bon lui semble..
Dans le livre que lit Thalia, une femme chirurgienne dit justement qu'elle est contre la chirurgie esthétique à outrance. Ce sont un peu vos idées qui transparaissent à travers elle?
Oui certainement. Et je pense que c'est la même chose quelque soit le sexe. Certaines femmes veulent faire plaisir à leur homme, veulent se changer pour lui. C'est un peu le regard de l'autre, soit de la société, soit de son conjoint. Qu'est-ce que l'on veut vraiment et non pas ce que les autres nous imposent? C'est un peu cette question là que je pose.
D'ailleurs à un moment donné Thalia affirme " Pourquoi se conformer à ce que la société attend de nous?" "Devons-nous tous suivre le même chemin?"
Oui, cette phrase est vraiment parlante. On ne se rend même pas compte que l'on est dans des étaux, dans des carcans. On suit des modes, on ne sait plus ce que l'on veut vraiment. On est dans l'action, dans un flot continu, et on n'a pas le temps de se poser pour réfléchir. Cela fait souffrir quand on ne fait pas ce que l'on veut et quand ce sont les autres qui dirigent notre vie..
C'est une satire de notre société. C'était votre idée de départ?
Non, pas du tout. A la fin je me suis dit que c'était un peu satirique, mais au début je n'y ai pas du tout pensé. J'ai commencé à écrire et c'est au fil de l'histoire par exemple que Laura qui vit dans notre monde est apparue. D'une manière générale, je n'ai pas de plan. Souvent, j'ai le début de l'histoire ou la 1ère phrase ou une ambiance. C'est comme un flash. Par exemple, pour le livre que je suis en train d'écrire et celui d'avant, j'avais plutôt la fin.
Quels échos avez-vous eu concernant " La tyrannie des apparences"?
J'ai eu quelques bons échos, mais aussi des lecteurs qui n'accrochent pas du tout. Il faut pouvoir se laisser aller à la fiction, et partir dans un autre monde. Ce n'est pas toujours évident pour tout le monde. C'est un livre qui peut être dérangeant pour certains, si on ne rentre pas dans le jeu. Mais ça soulève des questions..
C'est la 1ère fois que vous écrivez une fiction. Cela vous a t-il donné envie d'en écrire d'autres?
Je ne sais pas; c'est venu tout naturellement. En tout cas, je sais que le prochain se passera dans la réalité, dans notre société contemporaine.
Par rapport à vos autres livres, comment ressentez-vous " La tyrannie des apparences"?
Il est un peu à part, d'abord parce que c'est de la pure fiction. Il m'a apportée d'autres choses même au niveau créatif. Je me suis moins appuyée sur le réel donc forcément j'ai du y aller plus profondément. Par moment, c'était un peu particulier..
Dans votre livre " Les gosses", la narratrice a la quarantaine. Elle est divorcée et a 3 enfants. En gros, c'est la vie quotidienne d'une mère!
Il n'existe pas vraiment d'histoire; ce sont plutôt des chroniques du quotidien. A part l'histoire où elle rencontre le voisin. J'ai plutôt mis l'accent sur les relations entre les personnages et sur les relations parents ado.
Vous avez quatre enfants. Vous avez sans doute été bien inspirée!
Oui, même si ce n'est pas mon histoire. Je me suis inspirée de mes enfants, de leurs amis, et de tout ce que j'entends dire autour de moi. Avec 4 enfants, je connais bien le sujet. Déjà 3 adolescents et la dernière qui va bientôt l'être.…
Dans ce livre là, comme dans la "tyrannie des apparences, vous glissez pas mal d'humour. C'est ce que vous cherchez à faire en général?
Il y a souvent des pointes d'humour, et pour ces deux livres je me suis amusée. Mais "Plein soleil" est beaucoup plus noir. C'est sur un traumatisme en fait. Ce n'est pas forcément de l'humour, c'est vraiment comme ça vient.
Écrivez-vous souvent? Est-ce facile?
Comme j'écris deux heures tous les matins, je pense être un peu entraînée. Ceci dit, je ne suis pas quelqu'un qui écrit beaucoup. Tous mes livres sont courts, et je n'ai pas un souffle très long englobant de longues phrases romanesques. Je fais plutôt de petites phrases avec une écriture régulière mais pas énorme. Je ne sais pas bien expliquer. Ce n'est pas que je manque d'inspiration, mais c'est plutôt court.
Aimeriez-vous écrire un long roman?
J'aimerais bien. J'ai essayé à chaque fois de développer, mais on m'a dit "Non ce n'est pas ton style". Mon style est plutôt court et incisif. On dirait que j'ai une horloge dans la tête, car mes livres englobent à peu près toujours le même nombre de pages. Le prochain sera un peu plus long, mais je sais que je vais couper. Donc ça reviendra à peu près au même..
Que ressentez-vous en pleine écriture?
J'ai l'impression que je ne suis pas là; la pensée va plus vite que les mains..
Un peu comme de l'écriture automatique!
Un peu comme ça oui. Je pourrais presque dire même si ce n'est pas la réalité que ce n'est pas moi qui écrit. Les phrases arrivent naturellement. Je ne les cherche pas, elles s'imposent. C'est un genre d' état second..
Et après avoir fini un livre comment vous sentez-vous?
Ça dépend. Pour certains je suis angoissée et me demande comment mon livre va être jugé. Pour d'autres, je suis plutôt soulagée. Et puis j'ai envie de retenir certains de mes livres. En effet, ils s'en vont, et on ne contrôle plus rien. Les lecteurs, les journalistes, parfois c'est compliqué..
Par rapport au début avez-vous l'impression d'avoir progressé?
Je maîtrise un peu mieux la construction. L'écriture n'est pas plus facile, elle est différente. Je me fais plus confiance; au début je doutais beaucoup. Je doute toujours mais moins.
Le doute peut se révéler positif!
Oui, mais j'en avais une telle dose qu'il valait mieux en enlever un peu. C'était trop.. Quel est votre livre pour lequel vous avez le plus d'affection? C'est " Plein soleil". Il m'a changée psychologiquement; c'était un moment important. J'ai perdu mon père, j'avais 13 mois et avant " Plein soleil" pendant 4 livres j'ai parlé du manque du père mais d'une manière détournée. Là j'y suis allée frontalement.
Et ça vous aidée à faire le deuil. L'écriture constitue t-elle une thérapie selon vous?
C'est une grande question. Je ne pense pas que ça suffise. Pour moi, l'écriture a longtemps été comme un pansement, c'était une écriture un peu convulsive. J'étais débordée émotionnellement, et j'avais besoin d'écrire pour prendre du recul. A 27 ans, j'ai fait une dépression, et suis allée consulter. Et dès que me suis sentie mieux, j'ai commencé à écrire, et à aller vers les autres. C'est à ce moment là que j'ai fait de l'écriture quelque chose de positif. Mais l'écriture seule pour moi en tout cas ne suffit pas à cicatriser les plaies..
Comme tout écrivain vous recevez critiques et compliments. Tenez-vous compte de ce que l'on vous dit?
Tout dépend des critiques. Certaines sont gratuites et méchantes. Ça fait mal, mais ça n'apporte rien. D'autres peuvent être très constructives même pour les prochains livres. Par exemple des remarques par rapport à la fin d'un livre. Je me suis dit que j'avais peut-être négligé certaines fins, et qu'il faudrait que je fasse attention. Mais je garde quand même une certaine liberté. On ne peut pas plaire à tout le monde même si on aimerait bien..
Pour finir revenons à " La tyrannie des apparences" où la maturité a le pouvoir. En ce qui vous concerne quelle vision avez-vous de la jeunesse et de la maturité?
Je m'aime mieux maintenant qu'à 20 ans. Je suis plus sereine et sais davantage ce que je veux. J'ai du faire tout un parcours pour le comprendre..