Panatta regardait le ciel par Agnès Figueras-Lenattier, le 13 juillet 2020
Vous êtes neurologue et écrivain. L'écriture a t-elle toujours été un complément à votre vie d'écrivain?
Avant les années 90, il m'arrivait de mettre le stylo sur le papier, mais il n'en sortait pas vraiment grand chose. Puis, j'ai commencé à écrire de petits textes, et à tenir un journal de neurologue assez scrupuleux d'environ 1999, 2000 à 2008. Je l'ai écrit à la main et la règle était de l'écrire dans mon cabinet selon mon inspiration. Je compte le reprendre, le taper et pourquoi pas le proposer à un éditeur. J'ai également écrit deux romans qui n'ont pas été publiés même si pour le deuxième, deux ou trois réponses d'éditeurs me disaient de persévérer. Le 3ème " L'ange gardien" accepté par un éditeur bordelais Confluences est paru en 2011. Puis j'en ai écrit quatre autres " Crise", " Jardin à Ninon" "Prodromes" et " Jusqu'au cou".
Que contient exactement ce journal de neurologue?
Il a été écrit au jour le jour englobant mes impressions à propos de patients, à propos de la médecine en général, de l'évolution médecin malade, mais aussi sur d'autres sujets comme par exemple sur le cèdre à côté de ma fenêtre…
L'ange gardien" pourquoi ce titre? Le héros a un ange gardien!...
Oui, absolument. C'est un livre tout à fait prosaïque qui raconte l'histoire d'un homme qui quitte son domicile, suit la route en voiture. Il lui arrive un certain nombre d'histoires, et il tombe malade victime de manifestations épileptiques.. A la fin, l'on se trouve en présence d'un élément quelque peu fantastique mettant en scène un ange gardien qui fait une sorte de point en épilogue sur cette histoire.
Le héros s'appelle Servantès. Est-ce un hasard ou une allusion à "Don Quichotte"?
Oui, c'était volontaire. A cette époque là, j'avais l'impression dans l'exercice de la médecine de me battre contre des moulins à vent, donc j'ai choisi un personnage un peu désabusé.
Cela se termine t-il bien ou mal?
Très mal. Mais lorsque l'on lit le livre, on se dit que son sort est scellé depuis le début. C'est assez linéaire vers une conclusion inéluctable. Mais je trouvais que dans l'épilogue, l'arrivée de l'ange gardien laissait en quelque sorte filtrer une touche presque optimiste.
Votre second livre " Crise" qui a obtenu le prix d'Aquitaine" raconte l'histoire d'un homme à qui il arrive plusieurs malheurs en même temps. Est-ce autobiographique?
Oui, cela concerne une période très délicate de ma vie et c'est vraiment la stricte réalité. A ce moment là trois événements très difficiles se sont superposés : une passion amoureuse qui m'oblige à quitter mon domicile, l'éruption même si elle s'était déclarée un peu avant de la maladie d'Alzheimer de ma mère que j'ai malheureusement eu le privilège de diagnostiquer et enfin la mort de mon père. J'ai écrit ce livre en 1 mois, très facilement et c'était une nécessité de le faire. En outre, à cette époque là j'étais insomniaque et j''avais donc beaucoup de temps. Il fallait à tout prix éviter le pathos et je pense avoir à peu près réussi. Cela m'a fait beaucoup de bien de l'écrire…
Lors de la promotion n'était-ce pas trop dur de parler de tout ça?
Non, c'est après que ce fut douloureux lorsque la pression est tombée. Et pendant quelques années j'ai évité d'en parler. Maintenant, j'ai du recul et j'en parle aisément avec vous…
" Un jardin à Ninon" sorti en 2017 parle de jardinage. C'est une activité que vous aimez!
Oui. Je vis à la campagne à la Brède pas très loin du château de Montesquieu et lorsque j'ai acheté cette maison il y a plus de 20 ans, elle possédait 1 hectare presque en friche. L'ancien propriétaire avait confectionné un petit jardin et au fil du temps en 96, j' en ai fait un autre. En 2016, j'ai raconté ce que j'avais fait de mes mains avec mon épouse. Je trouvais cela intéressant d'en parler par le biais de récits et puis je tenais aussi un journal de jardinier. J'ai incorporé entre les récits courts des extraits du journal.
Jardinez-vous depuis longtemps?
Non, mais j'ai toujours aimé la nature et les jardins. C'est vraiment lorsque j'ai acheté la maison que tout à commencé et là j'ai jardiné et je jardine encore à temps plein. Ce qui me plaît c'est la délicieuse sensation de mettre les mains dans la terre, de me rouler dedans, de créer avec les formes, les couleurs, le bois, l'architecture. Et puis la lenteur. Lorsque l'on crée un massif, il faut attendre une année pour obtenir le résultat. Après, si l'on n'est pas vraiment totalement satisfait de ce que l'on a planté, on peut encore le modifier et attendre de nouveau une année. J'adore cela et ça fait vraiment partie de ma vie. Je vais prendre bientôt ma retraite et je vais m'y consacrer encore davantage.
Y a t-il quelque chose que vous avez particulièrement retenu dans votre activité de jardinier?
Oh non, c'est un ensemble. C'est un jardin d'inspiration anglaise un peu fourre-tout dont je connais les moindres recoins. Je peux passer deux heures à jardiner sur presque un mètre carré comme sur 100 mètres carrés. Ce qui est important c'est de laisser pousser les plantes sauvages et de composer avec. Parfois, je suis obligé de les contrôler car certaines sont envahissantes. Ce que j'aime c'est l'imprévu. Je fais des plans dans ma tête, telle plante avec telle plante, et de temps en temps une fleur sauvage vient s'immiscer au milieu de ce que j'avais fait, ce qui donne une touche tout à fait extraordinaire que je n'avais pas prévu. C'est très excitant et merveilleux…
Avez-vous des anecdotes à raconter à ce propos?
En 20009, 2010, de nombreux sangliers sont venus autour de mon jardin et l'ont totalement dévasté. J'ai été obligé d'électrifier une partie, mais malgré cette électrification, ils trouvaient toujours un espace pour entrer. Il a alors fallu que je clôture tout le jardin avec du fil électrique. Un après-midi, ma belle-fille est venue me voir et m'a dit " Bernard c'est normal qu'il y ait un sanglier au milieu du jardin". Je lui ai répondu que ce n'était pas drôle mais elle a insisté et je l'ai suivie. J'ai alors aperçu une mère et son petit marcassin au milieu du jardin… Il y a aussi un oiseau appelé " la mésange charbonnière" qui possède un cri particulier et on a l'impression qu'elle dit "Plus vite, plus vite. " Or lorsque l'on est en train de bêcher comme un malade et que l'on entend cette mésange au dessus de notre tête qui crie plus vite, plus vite, c'est à la fois amusant et irritant…
Votre dernier livre sur le tennis paru en 2020 s'appelle " Panatta regardait le ciel". Comment ce titre vous est-il venu? De manière générale le choix du titre est-ce plutôt facile ou difficile pour vous?
Lorsque je rédige un manuscrit, il me faut toujours un titre; et je mets souvent un titre provisoire. Ce n'est pas toujours très facile. Pour Panatta je n'avais pas vraiment de titre, c'est l'éditeur qui l'a trouvé. J'avais intitulé le livre " Tenissisime" et mon éditeur m'a dit " Pourquoi l'on ne choisirait une phrase du livre?" J'ai trouvé cette remarque tout à fait appropriée. " Jardin à Ninon " c'est moi qui l'ai trouvé. Cela n'avait rien d'extraordinaire, c'est mon jardin et le lieu où j'habite s'appelle Ninon. Le second " Crise" c'était tellement évident que n'ai pas eu à chercher longtemps. Pour mon livre " Jusqu'au cou" l'origine du titre est plutôt amusante. C'est un roman policier et un soir je discutais avec une amie. Elle me demande ce que je faisais à l'époque et je lui raconte que je suis en train d'écrire un policier et que j'y suis vraiment jusqu'au cou. Elle me répond " Ah jusqu'au cou " c'est le titre! Tu viens de me le donner lui ais-je rétorqué!... Quant à "Prodromes" c'était une commande à partir d'une œuvre d'un sculpteur de renommée international, un cerveau lumineux. Je me suis dit qu'il fallait que je fasse une œuvre neurologique et j'ai utilisé le terme prodromes qui sous-entend l'existence de symptômes sournois dans la déclaration d'une maladie. C'est l'histoire d'un homme qui un matin trouve qu'il a le cerveau déconnecté. A partir de ce moment là, il cherche par tous les moyens à se reconnecter et il y parvient en allant voir cette sculpture lumineuse qui clignote. Je ne connaissais pas cette sculpture de Claude Lévêque et j'ai du aller la voir à Bilbao. Je me suis servi de ce voyage pour écrire une partie du texte. Je me suis aussi un peu inspiré de " 2001 l'odyssée de l'espace", du robot…
Vous évoquez tout un tas de souvenirs de votre vie de joueur de tennis dans " Panatta regardait le ciel" et également de spectateur. Comment avez-vous procédé pour les réunir?
C'était important pour moi de parler de gens que j'avais croisés et dont on parle peu même s'il faut baigner dans le milieu pour les connaître. Mais tout ce dont je parle était dans ma tête, et je n'avais rien noté. J'ai la chance d'avoir une bonne mémoire. J'ai fait comme d'habitude un travail préparatoire en écrivant quelques petites choses sur un bout de papier. Il y a à la fois des textes courts comme par exemple les chaussettes fluorescentes d'un certain Lionel Monce et des textes un peu plus longs comme ma première venue à Roland Garros à 20 ans lorsque j'ai assisté au match Borg Panatta. J'ai passé énormément de temps sur ce texte, je l'ai remanié je ne sais combien de fois. Après, tout est allé beaucoup plus vite.
Vous avez obtenu un bon classement (4/6). Jouez-vous souvent?
Oh oui, et il faudrait d'ailleurs que je calme un peu. L'année dernière je jouais quasiment tous les jours, et à présent je joue au moins trois fois par semaine. J'adore ce sport et me fais vraiment plaisir en essayant toujours de tenter de tenter de nouveaux coups. Faire des matches amicaux représente pour moi un vrai bain de plaisir, de puissance… Le seul bémol c'est le type d'en face qui parfois se révèle discourtois, ou me vole des points ce qui me donne envie de quitter le court. Cela m'est arrivé une fois tellement je m'ennuyais … A présent, Je joue avec le professeur du club qui me fait faire des gammes, ce que je n'avais jamais fait auparavant. C'est vraiment dommage d'ailleurs; je m'en rends compte. J'ai toujours joué à plat et celui que j'ai constamment voulu imiter c'est Stefan Edberg. A partir du moment où je l'ai vu jouer, je me suis mis à faire systématiquement service volée, ce que je continue à faire dans la limite de mes possibilités. Je trouvais ce joueur tellement élégant, souple, et qui ne discutait jamais un point. C'était vraiment ma conception du tennis et je dois avoir au moins 100 cassettes de ses matches
Vous parlez de la relation entre médicaments et tennis car à un moment donné vous avez pris du prozak et des benzodiazépines!
Cela me faisait rire à une époque car avec le prozac j'étais grisé sur le court. Mon état psychique n'était pas vraiment meilleur mais je me sentais plus vif. Même s'il y a un peu d'exagération de ma part, la période prozac m'a donné la pêche et j'étais plus réactif notamment en retour de service. C'est quelque chose qu'il faudrait étudier. En revanche, avec les benzodiazépines, je me souviens notamment d'une partie en double où je n'ai pas mis une balle dans le court. Je passais à côté des balles, et j'étais totalement déséquilibré.
A propos de double, vous avez joué avec votre père contre Jacques Chaban-Delmas et son beau fils Antoine. Comment cet ancien homme politique jouait-il?
C'était un super joueur de double et il avait une très bonne volée. Nous avons perdu à l'arrachée après que mon père a gâché une balle de match. J'ai aussi joué en double contre lui avec un ami lorsque nous avions 18 ans. Il avait un très bon partenaire et nous avons pris une rouste monumentale. Il me reste en mémoire une volée de revers de Chaban-Delmas particulièrement tranchante…
Vos souvenirs en tant que spectateur remontent quand vous étiez petit!
Oui, dans mon livre je parle de Roy Emerson. J'avais environ 8 ans et c'est vraiment le premier joueur que j'ai vu à la télévision. J'ai le souvenir d'un homme très musclé, très puissant et je me souviens du portait qu'en avait fait le journal " Tennis de France à l'époque : " Les travaux de la ferme lui avaient donné des muscles d'acier". Cela m'avait fait sourire à l'époque et aujourd'hui encore… Il y a avait Tom Okker, Roche, Newcombe. Tous ces gens là, je les ai vu à la télé. Mais je regardais moins le tennis que maintenant. J'ai arrêté de regarder le tennis entre 2001 et 2014, cela me cassait les pieds. Je trouvais qu'ils jouaient tous de la même façon, ce qui était faux en fait puis c'était l'éclosion de Federer, Nadal et d'autres. J'avais un à priori et à part la finale de Mauresmo à Winbledon qui m'a enchanté, tout me lassait très vite. Cette victoire a d'ailleurs été sous estimée à cause de cette coupe du monde où les français étaient en finale. J'avais trouvé à l'époque que c'était d'une injustice criante. Une femme qui gagne Winbledon aurait du être dans tous les journaux car c'était un exploit extraordinaire…Or on en a très peu parlé D'une manière générale j'aime bien regarder le tennis féminin et je m'en inspire parfois. Les hommes jouent un tennis tellement irréel. Par exemple c'est fou la manière dont joue Federer, comme ça en demi-volée…
A l'époque de Mac Enroe, Borg les joueurs étaient plus démonstratifs. Actuellement, il y a le code de bonne conduite. Préfériez-vous voir les joueurs davantage s'exprimer ou au contraire êtes-vous partisan d'une attitude plus sobre comme celle des joueurs de maintenant?
C'est complexe! Naturellement, je suis pour la bonne conduite sur le court, mais je reconnais qu'il faut quand même laisser les personnalités s'exprimer, et donner un peu de souplesse. Comme d'habitude, il y a l'esprit et la lettre, et comme d'habitude l'esprit meurt au pied de la lettre. Il faut mettre des limites mais ne pas sanctionner tout de suite, je trouve cela dommage. Je peux tout à fait accepter même si ça ne m'est jamais arrivé qu'un joueur puisse avoir une attitude un peu déplacée de la même façon qu'en tant que neurologue j'accepte que certains patients ne se conduisent pas toujours comme ils le devraient. Cela fait partie du jeu…