Martin1

avatar 15/07/2025 @ 19:36:42
J'écoute une discussion entre Alain Connes (mathématicien) et Daniel Sibony (mathématicien, devenu psychanalyste et écrivain)

Difficile de dire dans le détail ce que je pense de tout,
Mais pour avoir écouté beaucoup de conférences scientifiques je trouve qu'ici un certain nombre de choses originales ont été dites, d'autant plus que Connes est une sommité, et que les raisonnements tenus sont plus ou moins variés, cela peut intéresser certains, à qui les maths et la physique ne font pas trop peur (mais des fois ça parle un peu de littérature pour qu'on puisse souffler !) :

https://www.youtube.com/watch?v=SWgASHHanLU

Je note en particulier la remarque étonnante de Connes, qui en fin de discussion, explique en quoi les topos (objet généralisant les ensembles) qu'a imaginés le mathématicien Grothendieck ont la particularité de ne pas autoriser le principe de tiers exclu (on ne peut pas faire des démonstrations par contradiction / par l'absurde). Cela donne un relief nouveau à la notion de vérité.
D'ailleurs la conséquence qui est tirée sur la vérité est assez convenue, mais le simple fait que de tels objets mathématiques existent - à supposer qu'ils aient une signification dans l'absolu, je trouve que ça vaut le détour.
Je dois quand même préciser que cette notion de topos n'est pas du tout représentative des mathématiques en général, qui je trouve fonctionnent plutôt avec une opposition franche entre vrai et faux.

A remarquer aussi la façon dont la physique quantique a poussé les limites des mathématiques en interrogeant les notions de continu et de discret.

Qu'on s'entende bien, la plupart des gens ne comprendront pas tout, c'est assez pointu, il faut les prendre comme ils sont aussi ;)

Eric Eliès
avatar 15/07/2025 @ 22:18:19
Merci beaucoup pour le lien, Martin ! Je découvre cette fondation et les suivrai sans doute sur youtube. Sur la fin de l'entretien, j'ai d'abord été frappé par la distinction établie par Alain Connes entre "proposition vraie" et "proposition démontrable". Pour moi, les seules propositions vraies non démontrables étaient les vérités axiomatiques et je pensais qu'on tenait pour vraie toute proposition qui pouvait être démontrée à partir d'une autre proposition tenue pour vraie ou d'un axiome. En conséquence, je considérais la possibilité de démonstration comme une condition de la vérité en mathématique. Visiblement, j'avais tort... Concernant les topos, je ne les connaissais pas en tant que tel mais je sais que la démonstration par l'absurde n'est pas toujours reconnue comme une démonstration valide, car elle renvoie à une vérité axiomatique (l'axiome du choix) qu'on peut admettre ou refuser. En fait, les mathématiques et la physique ont de plus en plus été amenés à refuser le principe du tiers exclus, qui relève d'une logique cartésienne qui n'est pas celle de la nature. La révolution de la physique quantique n'est pas d'interroger la limite du continu et du discret (en fait, la physique quantique a été inventée pour contourner les blocages provoqués par le continu mathématique, qui conduit à des absurdités physiques car la puissance du continu est un infini qui fait diverger toute grandeur mesurable - en fait, il est probable que tout dans l'univers est discontinu, y compris le temps) mais d'autoriser la superposition d'états contradictoires. Dans les années 50, le philosophe Stéphane Lupasco avait tenté de reconstruire la logique en élargissant les tables logiques à des objets où A et non-A ne s'excluaient pas et ne se complétaient pas. Lupasco considérait qu'une proposition pouvait être ni A ni non-A ou être à la fois A et non-A, et donc qu'une proposition pouvait être vraie, ou être fausse, ou être à la fois vraie et fausse ou être à la fois ni vraie ni fausse.
Il n'est pas anodin de voir que les mathématiciens ou philosophes qui travaillent sur ces concepts ont souvent une sensibilité poétique. C'était le cas de Lupasco mais aussi de Grothendieck, qui a fini sa vie en ermite, en laissant derrière lui un énorme manuscrit intitulé "Récoltes et semailles", dont un court extrait fut recopié sur un site consacré à la poésie, que je vous recopie. Cet extrait est consacré à l'exigence de vérité qui doit guider la recherche de connaissance vers la compréhension de la chose étudiée. Grothendieck n'était pas seulement mathématique : il fut aussi un écologiste convaincu et militant, et un mystique torturé...

https://poezibao.typepad.com/poezibao/2022/…

Frunny
avatar 15/07/2025 @ 22:36:13
Attention à ne pas s’en approcher de trop….sinon, on se brûle !

Eric Eliès
avatar 15/07/2025 @ 22:55:26
Attention à ne pas s’en approcher de trop….sinon, on se brûle !


@frunny : c'est presque la conclusion à laquelle arrivent les deux intervenants : on croit qu'il n'y a que le vrai et le faux alors qu'on peut être à deux pas ou à trois pas du vrai comme à deux ou trois pas du feu...

@martin : en me relisant, je suis allé un peu vite en liant axiome du choix et démonstration par l'absurde. En fait, ce lien n'est vrai que dans le cas où on démontre qu'une opération répétée à l'infini va conduire à une contradiction. Mais on n'a pas systématiquement besoin de l'axiome du choix pour construire une démonstration par l'absurde.

Martin1

avatar 15/07/2025 @ 23:20:05
Pour les énoncés vrais non démontrables, je pensais pareil que toi.
J'ai revisionné pour bien comprendre l'exemple du lièvre et de la tortue.
-L'énoncé est non démontrable car cette façon de substituer les chiffres est une fonction qui croit plus vite que toute fonction connue et descriptive dans l'arithmétique de Peano.
-L'énoncé est cependant vrai, il le déduit d'une "certaine" démonstration qui utilise les ordinaux infinis.

Ce qui m'étonne c'est qu'il a l'air d'utiliser un certain type de démonstrations par ce dernier moyen (autre que Peano). Du coup je ne sais pas s'il faut que je sois convaincu ou non...

Mais sans traiter de ce cas technique, on peut l'entendre dans un sens plus général et indéfini. On peut comprendre l'appellation "vraie non démontrable" au sens qu'admet le théorème d'incomplétude de Godel (tout système logique contient des indécidables, donc des vrais indémontrables, sans qu'on puisse forcément savoir lesquels !)

Je suis perplexe de ce que tu écris sur le raisonnement par l'absurde et l'axiome du choix. Je ne vois pas comment tu fais ce lien.

C'est vrai que Grothendieck était tout cela, d'ailleurs il avait ses qualités et ses défauts. Tu ne peux pas savoir comme j'ai ri à une discussion entre Jean-Pierre Serre et Alain Connes. Chaque réponse de Serre à propos de Grothendieck était à pouffer de rire.
J'ai lu quelques passages de la Clef des Songes et j'en étais arrivé à une conclusion simple : Aurélien Barrau est le morphisme bijectif parfait de Grothendieck, où toutes les qualités et les défauts sont présents, à un détail près : le génie mathématique a été perdu mais remplacé par une puissante éloquence. Que penses-tu de mon théorème ? Je suis sûr qu'il fait partie des vrais non démontrables.
;)

Martin1

avatar 15/07/2025 @ 23:20:58
Ah, j'ai écrit mon message sans avoir lu ta rectification entre temps ! C'est bien ce que je me disais ;)

Martin1

avatar 15/07/2025 @ 23:33:30
Le passage de la Clef des Songes (Grothendieck) que j'avais lu était quand même super, j'ai retenu une citation que j'ai retenu par coeur : "Dieu se tait, et lorsque qu'Il parle, c'est à voix si basse que personne ne L'entend".

Frunny
avatar 16/07/2025 @ 08:40:05
Attention à ne pas s’en approcher de trop….sinon, on se brûle !



@frunny : c'est presque la conclusion à laquelle arrivent les deux intervenants : on croit qu'il n'y a que le vrai et le faux alors qu'on peut être à deux pas ou à trois pas du vrai comme à deux ou trois pas


Hormis la vérité scientifique, il n’existe pas de Vérité.
Le meilleur exemple est l’Histoire.
Elle a été écrite par les vainqueurs…et se diffuse dans les cerveaux comme des faits établis, indiscutables.
Il faut apprendre à désapprendre.

Shelton
avatar 16/07/2025 @ 08:59:44
"Hormis la vérité scientifique..."

Et encore avec la limite des connaissances du moment : un théorie est valable jusqu'à l'arrivée d'une nouvelle théorie qui, souvent, ne supprime pas la précédente mais la complète, l'enrichit, l'élargit...

Martin1

avatar 16/07/2025 @ 09:49:04
Hormis la vérité scientifique, il n’existe pas de Vérité.
Le meilleur exemple est l’Histoire.
Elle a été écrite par les vainqueurs…et se diffuse dans les cerveaux comme des faits établis, indiscutables.
Il faut apprendre à désapprendre.


Bof. Je fais de l'Histoire depuis des années, et très honnêtement, cette phrase ne correspond pas à ce que je vis concrètement au contact de la discipline. Elle est très répandue cependant, on la dit souvent... Mais la réalité en est loin.

Saule

avatar 16/07/2025 @ 09:55:25
l y a des vérités historiques, mais elles sont relatives. Je crois que la bataille de Waterloo est une vérité indiscutable, quant à savoir si Wellington a vraiment entendu Blutcher arriver avec ses troupes... c'est discuté par des grand spécialistes (les anciens se souviendront d'une visite sur le site, dans le vent glacial, pour essayer de déterminer si on pouvait entendre la route plus haut :-))

Saule

avatar 16/07/2025 @ 09:59:25
Sinon c'est très intéressant et j'essaierai d'écouter le lien sur youtube. Mais c'est un peu compliqué pour moi. Ce qui m'intéresse beaucoup c'est le lien entre les mystiques (qui ont découvert la Vérité, comme Edith Stein), les mathématiques. Par exemple le fait que les nombres sont des réalités mais non des choses "physique", ca veut bien dire qu'il y a des vérités "mystiques" ou plutot purement de l'esprit ? Je trouve ca fascinant.

Saule

avatar 16/07/2025 @ 10:57:06
J'ai écouté la première partie, en faisant la gym, sur le temps. C'est très intéressant et ils rendent le sujet abordable. Merci Martin.

Saint Jean-Baptiste 16/07/2025 @ 11:59:28
... Je crois que la bataille de Waterloo est une vérité indiscutable, quant à savoir si Wellington a vraiment entendu Blutcher arriver avec ses troupes c'est discuté par des grand spécialistes (les anciens se souviendront d'une visite sur le site, dans le vent glacial, pour essayer de déterminer si on pouvait entendre la route plus haut :-))
La guerre de Troie – oups ! de Waterloo – n’aura pas lieu :
https://critiqueslibres.com/i.php/forum/…

Si, si, elle a eu lieu :
https://critiqueslibres.com/i.php/forum/…

Saint Jean-Baptiste 16/07/2025 @ 12:11:31
Et voila comment elle s’est passée lors de sa commémoration en 2005
https://critiqueslibres.com/i.php/forum/…


Frunny
avatar 16/07/2025 @ 14:34:15


Bof. Je fais de l'Histoire depuis des années, et très honnêtement, cette phrase ne correspond pas à ce que je vis concrètement au contact de la discipline. Elle est très répandue cependant, on la dit souvent... Mais la réalité en est loin.


On parle de la place réservée à l’extermination des indiens d’Amérique, de la traite négrière par rapport à d’autre chapitres beaucoup plus ….étoffés ?
Le traitement des vérités historiques est une fumisterie. C’est la raison pour laquelle - après avoir appris à l’école - il faut s’empresser de désapprendre.

Martin1

avatar 16/07/2025 @ 16:05:15
Le traitement des vérités historiques est une fumisterie. C’est la raison pour laquelle - après avoir appris à l’école - il faut s’empresser de désapprendre.

Je suis imperméable à ce genre de discours, désolé.

Eric Eliès
avatar 16/07/2025 @ 23:13:01

Hormis la vérité scientifique, il n’existe pas de Vérité.


@frunny : justement non ! Et au contraire, là où il y a une Vérité, il n'y a pas de science. Par définition même de ce qu'est la science, il n'y a pas de vérités scientifiques mais juste des théories et des hypothèses, qu'on tient pour vraies jusqu'à ce qu'elles mises en défaut par l'expérience (la réfutabilité par l'expérience étant la condition pour qu'une hypothèse soit scientifique sinon c'est de l'idéologie). Les hommes de science qui ont pensé que leurs théories portaient une part de Vérité furent le plus souvent des scientifiques croyants qui ont confondu leur pensée et leur foi : ce fut notamment le cas de Newton, qui pensait que les mathématiques étaient le vrai langage de Dieu et que la science dévoilait les lois cachées par lesquelles Dieu régissait le monde...

Martin1

avatar 16/07/2025 @ 23:51:15
les mathématiques étaient le vrai langage de Dieu et que la science dévoilait les lois cachées par lesquelles Dieu régissait le monde...


Pour moi tous les grands mathématiciens ou presque ont pensé quelque chose qui ressemble à ça. Je suis en train d'écrire un texte dessus d'ailleurs
Et je ne suis pas d'accord : ce n'est pas une histoire de confusion entre foi et science

Martin1

avatar 17/07/2025 @ 00:02:06
C'est simplement une impression, une contemplation d'un au-delà de l'esprit humain, ce qui en fin de compte se ramène à Dieu dans sa définition métaphysique (la preuve cosmologique). Cette contemplation est habituelle chez les grands scientifiques et tout particulièrement mathématiciens.

Du reste, même en ôtant la Vérité de la science, ije pense qu'elle est présente dans les énoncés scientifiques, parce qu'elle les motive, d'une façon que l'on peut comparer à une particule chargée, unique, qui serait sous-jacente à un champ électromagnétique défini par elle.

Les énoncés scientifiques ne sont pas la Vérité
Mais sans la Vérité, et sans l'attraction qu'elle exerce, il n'y aurait pas eu d'énoncés scientifiques

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