Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson

Entre ciel et terre de Jón Kalman Stefánsson
(Himnaríki og helvíti)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Fa, le 22 mars 2011 (La Louvière, Inscrit le 9 décembre 2004, 49 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 15 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 318ème position).
Visites : 13 495 

Où le roman tend vers la poésie

C'est l'histoire d'un jeune islandais, sans plus aucune famille, pêcheur plus par nécessité que par choix, parti chercher la morue en mer comme cela se faisait à l'époque, sur une barque instable dans une mer toujours dangereuse, rendue salée par les larmes des noyés.

Le jeune homme s'est lié d'amitié avec un personnage plus âgé barthur, lui aussi plus porté vers l'imaginaire et les livres que vers son métier de pêcheur. Ils partagent leur sort lors d'une équipée en mer et, pour trop avoir rêvassé autour des vers de Milton, Barthur en oublie sa vareuse, ce qui, sur une mer glacée et parcourue de tempêtes, ne pardonne pas.

Une fois revenu, le jeune homme se lancera dans la seule quête qui donne encore un sens à sa vie, à savoir rendre le livre à son propriétaire et, peut-être, éventuellement, partir vers un nouveau destin.

A côté d'une histoire à la fois simple et onirique, il y a une réelle poésie dans ce texte, truffé de belles phrases bien rendues à la traduction. Je me sens bercé d'un personnage à l'autre, comme dans l'Ulysse de Joyce. Avec, ici aussi, une odyssée vers la recherche de soi.

Un texte beau, profond, d'une noirceur glaciale où peut-être se distingue la lumière, à la fin d'un long hiver polaire.

Message de la modération : Prix CL 2013 catégorie roman étranger

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Laborieux.

1 étoiles

Critique de Hexagone (, Inscrit le 22 juillet 2006, 53 ans) - 25 avril 2015

Il s'agit d'un livre que l'on m'a offert et que j'ai donc eu la politesse de lire jusqu'au bout.
Une belle galère, beaucoup de mots pour ne pas dire grand chose. Le genre de livre rébarbatif, dans lequel on n'attend avec empressement qu'un seul mot... FIN

L'écriture contre la disparition

8 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 12 décembre 2013

Beaux commentaires!

J'ai trouvé ce roman joliment écrit, mais peut être un brin trop démonstratif , explicatif, et ce qu'il y a de plus beau et intéressant dans ce roman se situe en dehors de toute explication, de tout commentaire ( il y en a un tout petit peu trop à mon goût..). Juste l'histoire d'un livre, écrit par un aveugle, prêté par un aveugle, qu'il faut rendre à un aveugle, et ce livre écrit les destins des deux amis, l'un meurt à cause d'un oubli, l'autre vit parce qu'il ne veut pas oublier, et la voix des morts nous raconte des scènes absolument incroyables de pêche à la morue ..

Peu de vestiges évoquent à présent en nous la lumière. Nous sommes nettement plus près des ténèbres, nous ne sommes pour ainsi dire que ténèbres, tout ce qui nous reste, ce sont des souvenirs et aussi l'espoir qui s'est pourtant affadi, qui continue de pâlir et ressemblera bientôt à une étoile éteinte, à un bloc de roche lugubre. Pourtant, nous savons quelques petits riens à propos de la vie et quelques petits riens à propos de la mort: nous avons parcouru tout ce chemin pour te ravir et remuer le destin.
Nous allons te parler de gens qui vivaient en notre temps, soit il y a plus de cent ans, et ne sont guère plus pour toi que des noms inscrits sur des croix inclinées ou des pierres tombales fissurées. D'une vie et de souvenirs qui ont disparu en vertu de l'implacable loi du temps. Et cela, nous allons le changer. Nos paroles sont telles des brigades de sauveteurs qui jamais ne renoncent à leur quête, leur but est d'arracher des évènements passés et des vies éteintes au trou noir de l'oubli et cela n'a rien d'une petite entreprise, mais il se peut qu'elles glanent en chemin quelques réponses et qu'elle nous délivrent de l'endroit où nous nous tenons avant qu'il ne soit trop tard. Contentons-nous de cela pour l'instant, nous t'envoyons ces mots, ces brigades de sauveteurs désemparées et éparses. Elles sont incertaines de leur rôle, toutes les boussoles sont hors d'usage, les cartes de géographie déchirées et obsolètes, mais réserve-leur tout de même bon accueil. Ensuite, nous verrons bien.



Beau début pour ce beau roman, que cet hommage à la littérature, qui rejoint ce que dit Jorge Semprun:

Il n'y a que l'écriture, il n'y a que les écrivains qui soient capables de maintenir vivante la mémoire de la mort.

« En cas de choix entre la vie et la mort, la plupart des gens optent pour la vie »

4 étoiles

Critique de Psychééé (, Inscrite le 16 avril 2012, 36 ans) - 21 septembre 2013

Au vu des critiques dithyrambiques sur cet ouvrage, je m’attendais à être surprise. Je l’ai été mais pas comme je le souhaitais.
L’histoire est centrée principalement sur la pêche en Islande. Un gamin perd son plus fidèle ami en mer et plus rien n’a de sens pour lui, si ce n’est rapporter un livre emprunté à son propriétaire avant de se donner la mort. Il s’interroge sur son futur : vivre ou mourir, la solitude, la tristesse et le pouvoir des mots. Hormis la pêche qui n’est pas ma tasse de thé, de nombreux personnages aux noms similaires m’ont rapidement fait perdre le fil et l’intérêt pour cette histoire.
Un côté poétique subsiste toutefois avec de belles phrases :
« Les paroles sont des brigades de sauveteurs désemparées, équipées de cartes de géographie inutilisables et du chant des oiseaux en guise de boussole. »
« Les sanglots naissent quand les mots ne sont plus que des pierres inutiles. »
« Les mots ont parfois le pouvoir des trolls et ils sont capables d’abattre les dieux, ils peuvent sauver des vies et les anéantir. Les mots sont des flèches, des balles de fusil, des oiseaux légendaires lancés à la poursuite des héros. »

Un Pierre Loti viking …

7 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 13 septembre 2013

C’est le thème du roman qui me fait parler de Pierre Loti. Jon Kalman Stefansson n’évolue pas tout à fait dans la même mouvance que notre regretté disparu. Mais il y a l’Islande, la pêche à la morue, à la fin du XIXème siècle …
Dans « Entre ciel et terre », les pêcheurs ne partent pas de Bretagne pour une longue campagne de pêche. Ils sont Islandais et partent pour une journée de pêche, quand les conditions le permettent, dans une grosse barque de six pêcheurs, du fjord où des équipes de pêcheurs sont rassemblées, bivouaquant tant bien que mal, pour s’élancer tels des participants à une course mortelle, au petit matin sur des éléments pas trop déchaînés pour remonter à la ligne ces poissons voraces que sont les morues. Il faut donc ramer au petit matin, affronter le grand froid, supporter le mal de mer, être fort physiquement … et survivre. Par exemple ne pas oublier sa vareuse au moment du départ pour cause d’amour excessif des vers de Milton. Car c’est ce qui arrive à Barour, jeune pêcheur à la fibre littéraire et poétique. Trop désireux de relire des vers de « Paradis perdu » du grand poète anglais au moment du départ, il embarque sans sa vareuse et le blizzard qui va saisir la barque partie plus loin que de coutume traquer la recherchée morue lui sera fatal. Au grand désespoir de son jeune ami, « le gamin », embarqué avec lui … j’allais dire dans la même galère ( !), qui va assister impuissant au baiser mortel que le blizzard va infliger à Barour.
Ceci c’est la première partie du roman et certains, je n’en doute pas, considèreront que le roman commence alors avec la suite. Pour ma part, c’est cette première partie, la partie de pêche et d’agonie de Barour, qui me parait la plus réussie. C’est comme un second roman qui commence derrière, en rapport avec la lecture, les livres et ce que le conformisme sur la côte d’un fjord islandais pouvait signifier il y a … bien longtemps.
« Le gamin » va en effet se mettre en tête de retrouver le capitaine aveugle, sorte de mentor littéraire du regretté Barour », pour lui rendre l’ouvrage si funeste du « Paradis perdu » qu’il avait prêté à Barour. Cette partie, relativement crépusculaire elle aussi, m’a paru plus confuse et moins intéressante, loin du souffle épique (et des glaciers du fjord) de la partie « pêche ».
C’est l’inégalité des deux parties qui me fait coter 3,5 * seulement. Car en fait « Entre ciel et terre » impressionne durablement. Surtout la première partie.

« Ils s’éloignent.
Toujours postée au même endroit, Andrea les observe alors qu’ils rapetissent au loin. Les expressions de leurs visages s’effacent, elle regarde jusqu’à ce qu’ils ne forment plus qu’un corps qui dépose la barque sur la mer, la plonge dans la nuit, vers le poisson qui nage dans les profondeurs, tout heureux de vivre. Andrea les accompagne du regard, demande à Dieu de les protéger, de ne pas les abandonner. Elle attend pour remonter au baraquement que la kyrielle d’embarcations venues du campement principal ait dépassé la falaise. »

petite déception

6 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 13 août 2013

Je m'attendais à un grand éclair en commençant ce livre. On en disait tant de bien.
Hélas la magie n'a pas opéré.
Une confusion d'abord avec la multitude de noms des acteurs (aux consonances étranges et difficiles), et ensuite un fil conducteur que j'ai bien eu du mal à maintenir hors de l'eau glacée de l'océan.

Quelques phrases enchanteresses notées au hasard :

- Il est inutile de hausser la voix quand on prie pour l'essentiel.
- Quel enfer que d'avoir des bras et personne à étreindre.
- Il est tellement vain de haïr les montagnes, elles sont plus grandes que vous !
- Nulle chose n'est plaisir en dehors de toi.
- ... s'il s'endort ici, il ne se réveillera pas dans cette vie.
- Porte moi vers tes pas et je saurai peut-être si je t'aime
- Sans le péché il n'est nulle vie.

Trouver une raison de vivre

6 étoiles

Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 20 juillet 2013

L’écriture est dense mais d’apparence simple, descriptive et sans dialogue. La mort, omniprésente est compensée par un puissant et pragmatique instinct de vie, ... ou de fuite, dans l’imaginaire ou dans l’alcool pour échapper à l’insatisfaisante réalité.

Le livre raconte simplement la rude vie de pêcheurs d’Islande dans des barques et les conséquences fatales d’un oubli de matériel. Ce point de départ auréolé de la magie de la rêverie poétique, couplé à la nécessité de survie de ceux qui ne peuvent aider l’étourdi au risque de périr eux-mêmes, se poursuit par une description de la façon de vivre ce deuil de la part de l’ami du défunt. Il s’agit d’un adolescent, lui aussi passionné par les livres, qui rejoint le bourg afin de remettre l’objet de l’oubli au vieux capitaine devenu aveugle qui le lui avait prêté. Il rencontrera différentes personnes qui, chacune à sa manière et par petites touches, le détourneront de son projet de mettre fin à ses jours.

IF-0713-4065

Le jeune homme et la mer

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 66 ans) - 16 mai 2013

Impossible de ne pas penser à Hemingway à la lecture de la première partie de ce livre; j'y ai retrouvé une ambiance entre combat et fascination envers la mer qui détruit mais qui nourrit; cette personnification des éléments, du poisson; la fragilité de la vie humaine... qui tient ici à quelques vers de poésie.
Déroutée par le style après deux lectures marquantes, je me suis, au fil des pages, laissée envoûter par le ton, par la poésie des mots.
"Les mots sont de nature diverse. Certains sont lumineux, d'autres chargés d'ombre. Avril est, par exemple, empli de lumière."
Après le décès de son père, puis de sa mère, le "gamin" se retrouve pêcheur dans une région difficile.
"Est-ce cruauté ou soulagement de savoir qu'il avait vécu sept jours supplémentaires dans l'esprit de ceux pour qui il comptait plus que tout, de savoir que mort, il avait encore un peu vécu?"

On suivra avec empathie, amitié, émotion, quelques semaines particulièrement difficiles de la vie de ce jeune homme qui ne sait pas quelle route choisir.
"Il avance lentement et péniblement, abandonné de tous, sauf de Dieu et Dieu n'existe pas."

J'ai éprouvé beaucoup d'admiration devant l'excellence du choix des mots de l'écrivain; des mots quelquefois étonnants (« mouronne?), qui nous amènent à réfléchir sur l'amitié, l'amour, les livres, la musique, l'entraide, la résignation, la solitude...

"la frontière est si fine qui sépare la vie de la mort"

10 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 75 ans) - 14 mai 2013

N'est-ce pas finalement le thème essentiel de ce livre: nous interpeller sur la fragilité du vivant, l'omniprésence de la mort et ce fil si ténu qui les relie? Pour une distraction fatale, Barour dont la beauté, la puissance et la jeunesse faisaient fantasmer Andréa , le matin même, franchira cette frontière irréversible seulement quelques heures plus tard. Et le gamin orphelin, qui n'avait plus que lui au monde, sera lui-même tenté de s'abandonner aux ténèbres.
Qu'est-ce donc que la vie, que la mort, et le sens de l'une ou de l'autre quand tout peut basculer de manière si abrupte? Et cela est valable pour la grande communauté des êtres vivants (car si tous ne peuvent s'interroger, nous, le pouvons) de la morue qui nage avec bonheur avant d'être prise à l'hameçon, au chien englouti en un instant par le requin , au pêcheur à la merci de la tempête sur ces fameuses barques à six rames, coquilles de noix posées sur la mer Glaciale.
Réflexion sur la vie, la mort mais aussi la solitude, le temps qui passe effaçant tout, même le souvenir du visage de ceux que l'on a aimés, le désir qui s'éteint, les potentialités perdues...

Car dans cette nature sauvage, âpre et désolée, ce "bout du monde" encore isolé de la "civilisation", au tout début du siècle dernier, où la vie des pêcheurs ressemble plutôt à un combat pour la survie, dans ce pays de brume coincé entre mer et montagne, où l'obscurité se fait souvent plus présente que la lumière, ce pays "où l'envie de dormir te saisit à la simple pensée du réveil et du jour qui s'annonce", sans doute peut-on être plus proche de l'essentiel et plus préoccupé qu'ailleurs des questions existentielles.
Avant de décider s'il doit vivre ou mourir, le gamin "doit découvrir s'il a quelque chose à faire ou non en ce monde"; "il avance lentement et péniblement, abandonné de tous, sauf de Dieu et Dieu n'existe pas".

Ici les morts parlent aux vivants et les observent vivre. Les textes très courts qui introduisent chacune des deux parties sont des adresses des morts aux vivants que nous sommes, âmes errantes qui s'interrogent sur l'existence de Dieu, hésitant entre espoir et désespérance, et qui usent du pouvoir des mots-tantôt immense et tantôt dérisoire-pour nous transmettre ce message:
"L'enfer, c'est d'être mort et de prendre conscience que vous n'avez pas accordé assez d'attention à la vie à l'époque où vous en aviez la possibilité. "

Il y a à la fois dans ce texte superbe, non dénué de notes d'humour et de dérision, tant de simplicité et de profondeur, un tel sens aigu des mots, de la formule juste (hommage en passant au traducteur) que cela ne peut manquer de trouver un écho dans notre propre sensibilité.
Mais peut-être ne peut-on l'apprécier pleinement qu'à maturité et si l'on a connu la perte d'êtres chers, le moment où l'on ne sait plus quel sens donner à sa vie et où toute pensée positive vous semble trahison...

INTENSE, SUBLIME, A LIRE ET A RELIRE... pour partager à nouveau cette méditation et déguster cette magie des mots... ce livre m'a littéralement happée du début à la fin.

Très poétique

8 étoiles

Critique de Koudoux (SART, Inscrite le 3 septembre 2009, 60 ans) - 4 mai 2013

Un pêcheur, trop occupé à retenir des vers du "Paradis perdu" de Milton, oublie d'emporter sa vareuse en partant en mer.
Cet oubli va lui être fatal.
Son jeune ami va entreprendre un voyage pour rendre le livre à son propriétaire.
Les descriptions des paysages, du climat et également de l'ambiance sont exceptionnelles.
Une fois le livre fermé, notre esprit continue à voyager dans ce rude pays...

Le grand nord

8 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 59 ans) - 4 mai 2013

Est-ce la force poétique dont parlent plusieurs critiqueurs ? Toujours est-il que ce roman m'a littéralement happé dans son atmosphère de grand nord. J'ai été fasciné par la lumière qui se dégage du roman, bleue ou noire comme l'eau profonde, ou blanche comme la neige. J'aime ces descriptions de l'eau profonde, de la mer, l'air glacé. On vit ce roman au rythme des éléments, surtout dans la première partie qui se passe essentiellement en mer. Je pense que c'est une prouesse de l'auteur (et du traducteur) de nous bercer par ces phrases poétiques, qui instaurent un rythme auquel on est sensible.

Dans deuxième partie, sur la terre, j'ai perdu le fil du récit, je ne voyais pas ou l'auteur m'emmenait, même si les images du bout du monde affleuraient toujours dans ma tête, surtout dans sa marche à travers la montagne.

Une très belle découverte grâce au prix de critiqueslibres.com (sélection roman étranger 2013).

"Voilà tout notre histoire"

7 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 1 avril 2013

Un gamin, la vingtaine tout même, et son ami, un peu plus âgé, regagnent le baraquement qui sert d’hébergement aux six membres d’équipage de la barque avec laquelle ils participent à la saison de pêche dans un fjord du nord-ouest de l’Islande. Ces pêcheurs artisanaux perpétuent la pêche traditionnelle de plus en plus concurrencée par les bateaux à moteurs venus, notamment, du continent européen. Les marins prennent la mer après avoir interrogé le ciel, les vagues et le vent, et confient leur sort à Dieu avant d’affronter le flot et ses démons qui ont déjà emporté par le fond le père du gamin et, de la vilaine grippe qui sévit régulièrement, sa mère et sa sœur. « D’un côté, la mer, de l’autre, des montagnes vertigineuses comme le ciel : voilà toute notre histoire. »

Les deux amis sont férus de lecture au grand dam des autres membres de l’équipage qui les considèrent comme des malades. Le plus âgé lit « Le paradis perdu » de Milton et le gamin un récit de voyage. Absorbé par sa lecture, le plus âgé oublie sa vareuse avant d’embarquer et meurt de froid sur la barque. Le gamin n’accepte pas cette mort, il fuit, il ne veut plus retourner en mer, il va vivre avec les terriens, défiant la mort dans une longue odyssée à travers les neiges, un voyage initiatique à la limite de ses forces et de la vie, « Il lui faut découvrir la raison pour laquelle il vit, mais, avant tout, s’il a sa place au sein de cette existence. » Il retrouve la ville et sa population confinée avec pour seuls loisirs l’alcool et le sexe et cette question lancinante : Faut-il vivre cette vie ? Une autre ailleurs ? Celle d’après dès maintenant ?

Un récit lent comme une barque qui tangue sur la houle au rythme saccadé des coups de rames de l’équipage, un récit qui chaloupe sur la vie de ces marins conditionnée par les cycles conjugués des marées et du soleil, un récit qui explore la zone ténue qui sépare la vie de la mort. « Les mouvements des hommes sont rapides mais mesurés, un geste imprudent, inconsidéré, et la barque pourrait rompre l’équilibre qui sépare la vie de la mort ». Un texte où la mort est omniprésente, fatale et finalement acceptée. « Celui qui meurt se transforme immédiatement en passé ». Injuste, cruelle, elle rythme la vie de cette communauté perdue aux confins du monde vivant et induit implicitement le questionnement sur la vie, son sens, son utilité, l’intérêt qu’elle a d’être vécue.

« Les mots sont cependant tout ce que le gamin possède… Les mots sont ses compagnons les plus dévoués et ses amis les plus fidèles, ils se révèlent pourtant inutiles au moment où il en aurait le plus besoin. » Le gamin s’évade dans les mots et pourtant les mots ont tué son ami qui n’a pas pu leur échapper. Mais comment sortir de ce monde confiné, enfermé sur lui-même, sans les mots, sans les histoires, sans les livres ? Comment vivre sans cette gourmandise ?

« Sans le péché, il n’est nulle vie. »

Un frisson

7 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 55 ans) - 26 mars 2013

L’écriture poétique est évidemment la grande force de ce roman. On se fait bercé par les belles phrases un peu comme un bateau sur la mer. Bien que le récit simpliste soit en quelque sorte une quête intérieure, je n’ai pas ressenti un lien intime avec le personnage principal. D’ailleurs il n’est jamais identifié, seulement appelé ‘gamin’ tout au long.

L’ambiance froide et triste est assommante. « …et les rêves qui emplissaient l’espace vacant laissé par l’existence se dissipent. Ils sont réduits à néant, tout au plus ne forment-ils qu’un lambeau de brume qui plante quelques secondes au-dessus de la mémoire avant de s’évanouir. »

Pourtant, les peuples nordiques sont souvent joviaux afin de compenser pour le décor glacial. Un peu de lumière aurait apporté un certain souffle.

« Nous devons prendre soin de ceux qui nous sont chers et à qui nous le sommes »

8 étoiles

Critique de Monito (, Inscrit le 22 juin 2004, 52 ans) - 20 mars 2013

Ce gamin n’aurait rien à faire sur cette barque de pêcheurs de morues dans les mers gelées au large des côtes islandaises ou coup de vent peut rimer avec gros temps en un clin d’œil qui peut s’avérer fatal.

Ce gamin n’avait trouvé que la complicité avec Barour pour tenir sur ces eaux et dans ce boulot ingrat où la passion poétique de Barour faisait office d’amitié, de ciment même entre ces deux êtres. Le gamin savait lire et l’intérêt du livre. Sa famille disparue l’avait de cela nourri. Barour était ainsi plus qu’un collègue et qu’un frère, une boussole que le froid glacial va détruire un jour de sortie en mer où les mots eurent raison des réflexes et où le pécheur-ami les emmènera avec lui au profit d’une vareuse.

C’est après cette introduction puissante autour d’une séparation que se décline un voyage initiatique et onirique où le gamin obsédé par la question de la mort va trouver les prémices des réflexions autour du sens de la vie avec deux femmes que l’on qualifiera volontiers de libérées et de deux marins victimes de leur vie, hostiles au premier abord mais qui vont servir de tuteur à ce gamin qui sans ne plus l’être depuis longtemps, l’est finalement sans doute pour toujours.

Une grande force poétique

8 étoiles

Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 24 juillet 2011

Barour est un pêcheur poète, habité par les vers du Paradis perdu de Milton. Mais à trop s’évader dans la poésie, il en oublie la précieuse vareuse chargée de le protéger du froid lors des sorties en mer. Un froid glacial contre lequel les mots de Milton ne pourront rien, et c’est dans les bras du « gamin », plus jeune membre de l’équipage, que Barour s’éteindra.
Très affecté par la mort de celui qui lui faisait partager son amour des belles phrases, le gamin entreprend alors un voyage afin de rendre le funeste livre à son propriétaire, un vieil aveugle féroce épris de littérature. Un voyage désespéré, véritable parcours initiatique d’un jeune homme attiré par la mort mais tellement désireux de vivre.

C’est entre ciel et terre que se situe la mer, véritable source de vie et de mort des marins. Une mer qui hante ces pages et qui hante ces vies vouées aux eaux indomptables - et parfois balayées par elles - dont l’auteur parle avec maestria. Les personnages dépeints par Stefansson sont tous tragiques et magnifiques. Je crois n’avoir jamais lu de roman qui ait une telle force poétique, un tel élan mystique. Littérature et au-delà sont intimement liés tout au long du récit, et ce n’est certainement pas un hasard si le livre qui cause la perte de Barour s’intitule le Paradis perdu.

Ce livre est le premier roman de Stefansson qui ait été traduit en Français. Une traduction époustouflante d’Eric Boury, puisqu’il est évident que rien ne s’est perdu dans le passage d’une langue à l’autre. La grâce, la poésie, tout est parfaitement restitué. Dans un livre fort, rare, magnifique.

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