Jacques le Fataliste et son maître de Denis Diderot

Jacques le Fataliste et son maître de Denis Diderot

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Duncan, le 24 février 2004 (Liège, Inscrit le 21 février 2004, 43 ans)
La note : 4 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 15 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (14 667ème position).
Visites : 13 139  (depuis Novembre 2007)

Bis repetita placent ?!

Le sujet du livre est connu: Jacques et son maître voyagent... pour divertir ce dernier, Jacques lui raconte l'histoire de ses amours d'une façon assez truculente, il faut bien l'avouer.

Mais passées les premières pages où l'on s'amuse beaucoup de la sempiternelle phrase " Il fallait que cela fût car cela était écrit là-haut ", les effets deviennent de moins en moins drôles...

Et surtout de plus en plus répétitifs... ennuyeux... Le tout arrosé d'un cruel manque de rythme...

Bref, je suis resté complètement hermétique à ce livre ( au moins à partir de la page 100... ). Depuis je n'ai plus jamais ouvert un bouquin de Diderot: persuadez moi que j'ai tort ! ( Mais, après tout, si je n'aime pas Diderot, je n'en peux rien, c'est que c'est écrit là-haut ! )

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Un sacré valet

8 étoiles

Critique de Koolasuchus (Laon, Inscrit le 10 décembre 2011, 35 ans) - 3 février 2015

Suivre Jacques et son maître c'est accepter d'être dérangé, interpellé, questionné voire même frustré par ce narrateur qui ne tient pas en place et qui adore suspendre le récit des amours du valet. Certes cela peut être frustrant de temps en temps mais n'est-ce pas là l'intérêt même du récit ? De plus les autres histoires qui viennent s'intercaler au milieu de la trame principale sont parfois bien plus intéressante, notamment celle de Mme de la Pommeraye.

Ce livre pose ainsi un questionnement sur la forme et le déroulement d'un récit en brisant volontiers les habitudes que l'on a encore aujourd'hui, ce qui en fait tout son sel même si je reconnais que cela peut être très déroutant. J'ai également trouvé la prose de Diderot assez facile à lire et à comprendre malgré le vocabulaire de l'époque, c'est une manière de parler un peu désuète évidemment mais on bute rarement sur les mots ce qui évite d'être interrompu lors de la lecture par un terme que l'on ne connait pas et heureusement car le narrateur coupe déjà suffisamment son récit comme cela.

On ne peut pas dire non plus qu'il soit aisément accessible car moi-même j'ai été agacé plus d'une fois par le narrateur omniprésent et certains passages sont un peu longs. Cependant c'est une œuvre qui ne manque pas d'intérêt, aussi bien de par son histoire que sa construction, et même d'humour. Suivre Jacques et son maître n'est donc pas un voyage calme et tranquille mais cela vaut tout de même le coup.

La fin de l'histoire est écrite là-haut

8 étoiles

Critique de Millepages (Bruxelles, Inscrit le 26 mai 2010, 65 ans) - 14 septembre 2013

Ah les amours de Jacques !
Son Maître et nous autres lecteurs aimerions bien en entendre le récit complet de la bouche du principal intéressé.
Mais à chaque fois, un événement l'empêche de poursuivre plus avant,
Une chute de cheval, par exemple.
Ou une rencontre impromptue qui oblige Jacques à laisser là son histoire,
Quand ce n'est pas Diderot lui-même qui intervient, prenant un malin plaisir à se jouer de la curiosité du lecteur. Qui est invité tantôt à imaginer une suite à l'histoire, tantôt à respecter le besoin de repos de Jacques.
On s'entend invectivés pour notre impatience et comme le Maître, on n'a d'autre choix que d'attendre la reprise du récit en espérant en connaître un jour la fin.

Bref, beaucoup de digressions, bien caractéristiques du style de l'écrivain-philosophe. Une multitude d'anecdotes truculentes aussi, souvent dans le domaine de l'amour, du libertinage, de l'infidélité, de l'adultère.
Les Liaisons dangereuses, parues très peu de temps après, sont ici en germe.

Diderot ne manque pas, à longueur d'ouvrage, d'écorcher les aristocrates, les médecins, l'église.
Il met également en avant la sagesse et le bon sens du valet par rapport au maître.

Une œuvre intelligente qui, 300 ans après la naissance de son auteur, reste actuelle et moderne.

une rhapsodie savoureuse

9 étoiles

Critique de Kian996 (, Inscrit le 30 juin 2012, 28 ans) - 18 juin 2013

Diderot disait que son oeuvre pouvait être comparée à une rhapsodie oeuvre de musique pour instrument soliste, ici l'instrument soliste est Jacques, le beau parleur qui conte des histoires sans s'arrêter à son maître. Les histoires retracent en partie ses exploits sexuels et ses amours notamment pour Denise. Puis viennent des petites histoires de son capitaine et de son ami avec l'épisode du cloueur, des petites fables philosophiques et morales sur les hommes, leur vérité derrière leur apparence. Puis les deux voyageurs parviennent chez au Grand Cerf, petite auberge où les accueille une hôtesse charmante qui leur fera part encore d'une histoire celle de Mme de La Pommeraye et du Marquis des Arcis. Cette histoire brillamment racontée dénonce l'absurdité de la vengeance, les sentiments enfouis à l'intérieur des êtres je pense notamment à Mlle Duquenoy et de la scène du pardon du Marquis. Cette histoire balzacienne aux personnages de société entraînera une discussion des personnages sur l'unité de caractère, et la personne. Derrière les petites histoires, se cachent des multiples mises en abyme. C'est l’hôtesse qui raconte l'histoire que Diderot raconte.
Cet épisode entrecoupé de réflexions de Jacques est passionnant. Diderot qui joue de son talent de romancier, rompt l'illusion romanesque nous parle à nous lecteur, se met à notre place il peut être agaçant parfois à nous couper dans les histoires à nous demander d'imaginer la suite . Mais n'est-ce pas ça la fiction, imaginer ou du moins laisser imaginer au lecteur la fin de l'histoire. La vie des personnages est-elle déjà toute tracée à l'avance ou le l'auteur peut se laisser guider par ses personnages?
Des questions profondes évoquées à travers des petits contes petites histoires qui font que l'homme prend conscience de son extérieur et arrive à prendre de la distance face aux évènements. Le maître en écoutant d'une oreille avertie les histoires et les commentaires de Jacques va agir à la fin du livre puis l'auteur nous laissera le choix, oui il nous manipule, nous fait enrager mais quel beau voyage on a suivi avec ses deux protagonistes. Voyage dans le voyage de la création littéraire du dénouement, du pouvoir du narrateur, de la relation avec le lecteur. Diderot se révèle être un écrivain avant gardiste qui se laisse guider par ses personnages, intervient pour donner son opinion, laisse le lecteur frustré, outré. On a donc 3 personnages principaux: Diderot, Jacques et son maître. Diderot futé, philosophe qui se laisse guider et parfois prend la main pour s'adresser au lecteur , Jacques fin philosophe grand humoriste bavard et séducteur et le maître sentimental, passif, qui vit en écoutant.
Trois personnages, trois caractères psychologiques différents riches sur tous les plans qui laissent le lecteur pantois, ayant goûté à toutes les saveurs salées, sucrées, piquantes, amères du menu, rassasié qui n'attend qu'une chose: Poursuivre le voyage en compagnie de Jacques et son maître pour en entendre d'autres.
Un livre délicieux.

oeuvre fade

2 étoiles

Critique de Vdlleclone (, Inscrit le 8 octobre 2012, 52 ans) - 8 octobre 2012

Qu'il est laborieux de lire un livre si monotone, j'ai plus d'une fois voulu refermer l'ouvrage tant il faut un seuil de tolérance très élevé pour supporter ce récit aux multiples histoires toutes plus invraisemblables les unes que les autres et dont les chutes ne produisent aucun effet.
Il n'est pas vraiment question de déterminisme mais plutôt d'un ramas d'inepties entremêlées d'interactions avec le lecteur qui vous flanquent une bonne migraine.

Diderot dira lui-même que son oeuvre est une rapsodie insipide de faits écrits sans grâce et distribués sans ordre.

Fatalisme je ne crois pas, conscient des limites de la volonté, beaucoup plus

7 étoiles

Critique de Philippe (, Inscrit le 15 avril 2011, 45 ans) - 8 septembre 2011

Contrairement à certains lecteurs, je ne trouve point que le récit manque de rythme, au contraire, on peut admirer la virtuosité de l'auteur dans la conception de son récit et la façon qu'il a de nous mener de contes en récits afin de nous délivrer ses histoires truculentes et quelques leçons. Surtout Diderot sait tirer tout le parti de cette construction en donnant aux différents interlocuteurs du conteur la possibilité d'exposer des opinions contraires sur les moeurs des sujets de l'histoire, ainsi Diderot laisse transpirer ses idées sur la relativité des moeurs sans avoir à les expliciter.
En dehors des critiques de faits de l'époque, la dévotterie et le comportement des soi-disant gentilshommes et hommes de robes, qui si elle peut nous intéresser d'un point de vue historique ne nous touche plus trop, l’intérêt principal de l'ouvrage consiste en la réflexion qu'il livre sur la liberté de l'homme ou plutôt sur l'impossibilité d'une parfaite liberté tant l'homme est lié au monde qui l'entoure et au fil des événements qui construisent sa vie.
Une belle lecture, toutefois je ne classerais pas ce livre dans la catégorie des chefs d'oeuvre, surement plus du côté des tournants de la littérature, du fait de sa forme originale et du coté grivois et libertin des sujets traités qui ont sûrement dû faire quelques remous lors de la parution de l'ouvrage.

Manque de Rythme? Diderot?

8 étoiles

Critique de Rouchka1344 (, Inscrite le 31 août 2009, 34 ans) - 16 mai 2010

Alors oui je sais ce livre est dur à lire. Il m'a fallu trois lectures complètes pour comprendre le fonctionnement de ce livre ô combien intelligent si ce n'est dans sa composition!
Le livre est construit comme un enchâssement de tableaux qui racontent une histoire différente. Le rythme est là justement, dans ce chassé croisé des histoires qui ont l'air de tomber comme un cheveu sur la soupe alors qu'en fait leur entrée est entièrement calculée, de la première à la dernière page.
Je l'aime ce livre, j'ai appris à l'aimer grâce à un enseignement à côté, même si ca été dur. Je l'aime non pas pour l'histoire mais justement par cette construction peu orthodoxe. Diderot fait valser toutes les règles de l'écriture d'un roman en temps normal et ça quand on comprend ce qu'il a fait c'est génial!

Un roman difficile, mais substantiel

6 étoiles

Critique de Svartalfareux (, Inscrit le 20 mai 2009, 36 ans) - 20 mai 2009

Je crois qu'il est primordial de garder en perspective que le roman a été écrit il y plusieurs siècles dans un contexte totalement différent du nôtre. Bien sûr, Jacques le fataliste n'est pas un roman traditionnel, et sa lecture peut s'avérer laborieuse. Je crois qu'il faut quand même s'intéresser à l'idée que Diderot avait en écrivant une histoire de la sorte, plutôt que de simplement dire que dire que le roman est ennuyeux. Certes l'histoire met du temps à aboutir, mais il y a une raison à cela, c'est que Diderot essaie de nous faire comprendre quelque chose: il y a une lecture prescrite aux livres. Autrement dit, l'auteur écrit le livre d'une certaine façon, et le lecteur y est contraint dans sa lecture du roman.

comment manipuler le lecteur en 10 leçons

8 étoiles

Critique de Alouette (Seine Saint Denis, Inscrite le 8 mai 2008, 39 ans) - 1 novembre 2008

Jacques le Fataliste est un très bon exemple du pouvoir qu'exerce un auteur sur le lectorat. Il commence une histoire, invente des personnages, lui crée des situations plus ou moins réalistes.
Diderot explore toutes ces facettes et montre à quel point il peut jouer avec le lecteur. J'aime vraiment ses provocations lorsqu'il met en scène les suites possibles d'une histoire mais que finalement, il choisit une autre version plus simple.
J'adore ses digressions, ses apartés, les récits dans les récits qui retardent au maximum l'histoire principale du livre c'est à dire les amours de Jacques et Denise.
Mon passage préféré est sans aucun doute l'histoire du pâtissier, de sa femme et de l'intendant qui aurait sa place dans l'Heptaméron de Marguerite de Navarre.

Mortellement ennuyeux

2 étoiles

Critique de Abujoy (Rennes, Inscrite le 18 mars 2008, 38 ans) - 12 avril 2008

Rares sont les livres que je n'ai jamais fini. Celui-ci en fait partie.

L'intrigue est inexistante, le rythme d'une lenteur affligeante, l'auteur fait allègrement des digressions et nous explique ses différents points de vue dont on se fiche éperdument.

Bref, ce n'est pas pour ses qualités de roman que ce livre est à lire, mais plus probablement pour le questionnement sur la notion même du narrateur (certains vont même jusqu'à dire que Jacques le Fataliste est le seul vrai roman) mais aussi sur les idées philosophiques (le fatalisme étant vivement critiqué)...

Maintenant, est-il vraiment nécessaire d'exposer ses théories sur plus de 300 pages, sous la forme d'un roman, qui plus est ? Ce livre aurait dû être sous la forme d'une nouvelle pour la partie "nouveau roman" et d'un essai pour la philosophie (bien que la censure de l'époque ne l'aurait pas laissé publier).

Cela était écrit là-haut !

1 étoiles

Critique de H.Fedorowski (Epinal, Inscrite le 27 janvier 2007, 35 ans) - 9 mai 2007

J'ai trouvé ce livre d'un ennui mortel. Le début m'a paru plus ou moins intéressant notamment grâce au personnage de Jacques, ce pauvre valet qui s'en remet au "là-haut" pour tout ce qu'il lui arrive. La critique des médecins, des femmes et l'aperçu de l'époque de l'Encyclopédie aurait pu être passionante (et l'est d'ailleurs) si ce roman n'avait pas cruellement manqué de rythme ! On a l'impression de se trainer lamentablement dans les flaques de boues gluantes d'une histoire sans fin, qui s'entrecoupe d'autres histoires encore, d'anecdotes inutiles et surtout de commentaires du narrateur qui croit bon de nous répéter sans cesse "ah lecteur, vous voulez sans doute connaître la suite". Au premier abord, j'ai ris mais il faut à mon avis un peu plus qu'une multiplication d'invectives au lecteur pour le tenir en haleine.

(la demi étoile est pour l'originalité du début, dommage que le reste ne suive pas)

Le fond, bien sûr, mais la forme aussi!

9 étoiles

Critique de Gaelle06 (, Inscrite le 2 mai 2006, 42 ans) - 19 novembre 2006

« Le mot douleur [est] sans idée, et il ne commenc[e] à signifier quelque chose qu’au moment où il rappell[e] à notre mémoire une sensation que nous av[ons] éprouvée. »

Au-delà des réflexions philosophiques et métaphysiques, cette œuvre est une vraie réflexion sur la notion même de roman et la place du narrateur. En effet, celui-ci, tout puissant, ne cesse d’intervenir, interrompant en permanence le récit, récit qu’il dirige, orchestre, organise à sa guise sans jamais oublier de rappeler sa présence, son pouvoir de décision et d’action au lecteur.
Les barrières tombent, l’histoire d’un côté et le lecteur de l’autre, comme spectateur de l’action, n’existe plus ; le lecteur est pris à parti, sa patience est mise à l’épreuve, on le provoque, l’amuse, le gène, l’exaspère, le narrateur est alors comme une troisième personne brisant l’intimité existant entre le lecteur et son livre, son histoire. Mais pour qui se prend-il avec toutes ses interventions ? Il hache le récit, s’immisce dans la narration…un narrateur, oui mais pas un perturbateur… voilà ce que veut le lecteur.
Mais Diderot s’en moque, au contraire même, à mon sens, il en fait le centre de son œuvre. Rappelons juste un fait : nous sommes au XVIII siècle, la réflexion sur l'esthétisme du roman n’en est qu’à ses balbutiements, d’ailleurs aucune définition précise ne lui est attribuée, par conséquent libre à chacun de conceptualiser, de matérialiser l’idée qu’il s’en fait. Pour Diderot, c’est une réflexion sur la place du narrateur, tout puissant, maître du destin de ses personnages.

Diderot, l'éclairé fataliste

8 étoiles

Critique de Oxymore (Nantes, Inscrit le 25 mars 2005, 52 ans) - 23 juin 2006


Diderot a écrit ce roman entre 1771 et 1778 et semble s'être inspiré de Tristam Shandy de Laurence Sterne et aborde un thème emblématique du 18ème, le fatalisme.
L'histoire: 2 hommes, un maître et son valet Jacques partent sur les chemins à cheval vers une destination qu'on ne connait pas en discutant des histoires arrivées à l'un ou l'autre. L'interêt majeure réside dans l'inversement des rôles et des rapports de force autant que dans l'approche "philosophique" très vulgarisée du point de vue de Jacques:"....tout ce qui nous arrive de bien ou de mal ici-bas est écrit là-haut"....."c'est écrit sur le grand rouleau de la vie"
C'est sur la base de ces aphorismes que Diderot se joue de son lecteur en le faisant passer de Jacques à son maître sans jamais finir une histoire sans l'interrompre par une autre; ainsi dès le départ Jacques promet à son maître de lui raconter les amours de sa vie mais Diderot casse le fil pour ironiser en passant à la blessure d'un genou.
Conformément à sa carrière, Diderot s'inscrit avec ce roman dans les lumières et la modernité puisque le thème pousse à la reflexion et prête à de vives discussions au XVIIIème; le rythme du roman est cassé perpétuellement non par maladresse mais pour donner de la vélocité à l'oeuvre et surprendre le lecteur. Ainsi on retrouve dans Jacques le fataliste une succession d'anecdotes savoureuses et quelquefois très libertines: la sulfureuse Madame de la Pommeraye, Melle Agathe et son amant caché, le vice pervers de l'abbé Hudson, Denise etc....
Ici, le philosophe est le valet et dans cet enchevêtrement d'histoires Diderot s'amuse à nous tourmenter tout en nous faisant sourire voire rire de bon coeur, la rapidité des dialogues et le jeu comique des deux protagonistes donne un ton souvent très Commedia del arte. Et puis avec ses airs de petit roman rapide et désarticulé Diderot a su articuler l'oeuvre de façon très symétrique, le roman commence par une chute de cheval et se termine de la même façon, la boucle est bouclée.

Une autre édition

9 étoiles

Critique de MOPP (, Inscrit le 20 mars 2005, 88 ans) - 17 septembre 2005

Je signale l'édition (à 2 EUR) de ce livre remarquable chez Maxi-poche ISBN 2877141446. L'éternel combat entre le déterminisme et la liberté ! Bonne lecture.

Diderot l'aporétique

10 étoiles

Critique de Jean033 (En Wallonie, Inscrit le 12 août 2004, 79 ans) - 12 août 2004

Je suis enclin à penser que l’intérêt et le plaisir que l’on éprouve vis-à-vis d’un livre sont étroitement liés à ce que l’on en sait préalablement. Bien sûr, il peut arriver que la découverte d’un auteur totalement inconnu nous plonge dans le ravissement. Mais, le plus souvent, surtout lorsqu’il s’agit d’œuvres classiques, une bonne information à propos du contexte dans lequel le livre a été écrit confère du sens à bien des pages qui pourraient en paraître dépourvues aux yeux d’un lecteur naïf. On m’objectera peut-être le point de vue que Proust fit valoir contre Sainte-Beuve – à savoir que l’œuvre existe en soi, indépendamment des circonstances historiques, sociales et psychologiques, qui ont présidé à sa création. Mais il s’agit moins là de s’interroger sur l’origine de l’intérêt que l’on porte à l’œuvre que de se prononcer sur la légitimité de son interprétation. Et même à propos de cette dernière question, je suis tenté d’être prudent : l’extraordinaire acuité de Proust et les balourdises critiques de Sainte-Beuve ne sont pas suffisantes pour que l’on se rangeât sans réflexion à l’opinion du premier.

La lecture de Diderot devient vite passionnante dès lors que l’on resitue ses œuvres dans leur contexte. On sait que Diderot faisait partie du clan des « philosophes », c’est-à-dire de ce groupe d’écrivains en partie liés à la rédaction de l’Encyclopédie (D’Alembert, Helvétius, d’Holbach, Marmontel, etc.) et volontiers taxés de libertins et de matérialistes par leurs adversaires. Depuis Fontenelle, le « fatalisme » avait séduit bien des esprits du XVIIIe siècle et nombre de ceux qui fréquentaient les salons de « Minettte » (Madame Helvétius) se disaient convaincus par cette forme quelque peu désabusée de déterminisme. Mais, ce qui distingue Diderot, c’est qu’il balance. Sur bien des questions, il ne partage pas les certitudes de son ancien ami Jean-Jacques, mais pas davantage celles d’Helvétius ou d’Holbach. Et plusieurs de ses œuvres (« Le Neveu de Rameau », « Le Rêve de d’Alembert », « Le Supplément au Voyage de Bougainville ») sont pour lui l’occasion d’exposer des arguments contradictoires sans qu’il soit toujours possible de distinguer vers où l’opinion personnelle de l’auteur incline. « Jacques le Fataliste » est du nombre. Et d’autant que le narrateur y intervient lui-même abondamment sans que l’on puisse l’identifier à Diderot. Pour saisir le jeu des arguments qu’il déploie dans cette œuvre, il est sans doute utile de lire préalablement « Les Réflexions sur le livre De l'esprit par M. Helvétius » et « La Réfutation d’Helvétius ».

Diderot ne peut se convaincre que les hommes naissent égaux (en fait, pas en droit). Il penche pour des déterminations innées. Ce qui l’amène à une attitude vis-à-vis de la liberté marquée du sceau d’un scepticisme hésitant, si je puis dire sans commettre de pléonasme. Lorsqu’il rédige l’article « Volonté » de l’Encyclopédie, il ne craint pas d’écrire : « De la vient que nous prenons à tout moment la volonté pour la liberté. Si l'on pouvait supposer cent mille hommes tous absolument conditionnés de même, et qu'on leur présentât un même objet de désir ou d'aversion, ils le désireraient tous, et tous de la même manière, ou le rejetteraient tous, et tous de la même manière (...) Si l'on pèse bien ces considérations, on sentira combien il est difficile de se faire une notion quelconque de la liberté, surtout dans un enchaînement des causes et des effets tel que celui dont nous faisons partie. » Mais son embarras est bien plus grand encore et il confie à Mme de Maux : « J'enrage d'être empêtré d'une diable de philosophie que mon esprit ne peut s'empêcher d'approuver, et mon cœur de démentir ». « Jacques le Fataliste » n’est-il pas la sublimation littéraire de cet embarras ? C’est une des multiples questions qui peuvent tenir en haleine jusqu’à la dernière page.

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