A la recherche du temps perdu, tome 3: Le côté de Guermantes de Marcel Proust
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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De l’autre côté du miroir.
Dans ce volume, le premier du troisième tome, le narrateur de la « Recherche » passe de l’autre côté du miroir. Après nous avoir initiés aux charmes discrets de la bourgeoisie, il ouvre pour nous les rideaux d’un tout autre théâtre : celui de l’aristocratie. Dès les premières pages, il nous révèle les raisons toutes contingentes de ce grand bouleversement : « nous avions déménagé ». Rien que de banal jusque-là. Mais le nouvel appartement familial « dépendait de l’hôtel de Guermantes ». Le narrateur va côtoyer chaque jour la domesticité des Guermantes, le duc de Guermantes et – surtout – la duchesse.
Car, successivement amoureux dans les volumes précédents de « la Dame en rose » qui se révélera Mme Swann, de sa fille Gilberte et de toute la petite troupe de jeunes filles en fleurs parmi lesquelles se détachera bientôt la figure d’Albertine, le narrateur est ici sous le charme d’Oriane de Guermantes, qu’il se fait un devoir de croiser chaque jour, comme par un heureux hasard, au cours de sa promenade matinale. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Le narrateur aura beau charger de s’entremettre pour lui auprès de leur parente les connaissances qu’il compte dans ce milieu très fermé (Mme de Villeparisis, le baron de Charlus et surtout son ami Robert de Saint-Loup), ce volume s’achèvera sans que le jeune voisin ait obtenu de la belle Oriane autre chose qu’un sourire, quelques mots convenus et beaucoup de dédain.
Cela n’empêche nullement le narrateur d’échafauder des romans, car notre imagination est « un orgue de barbarie détraqué qui joue toujours autre chose que l’air indiqué ». C’est ainsi que, quand la duchesse « fait pleuvoir » sur lui « l’averse étincelante et céleste de son sourire », ou « la lumière de son regard bleu », il croit qu’il aime. Il croit qu’il aime, donc il aime. Et le narrateur de nous donner une nouvelle leçon de psychologie amoureuse, et de nous apprendre beaucoup sur nos propres amours, car « rien n’invite tant à s’approcher d’un être que ce qui en sépare, et quelle plus infranchissable barrière que le silence ? »
L’absence de la duchesse attise l’amour du narrateur, donc sa souffrance, mais « ce qui mêlait quelque plaisir à ma peine, c’est que je la savais une petite partie de l’universel amour. »
Amour aveugle ? Sans doute. Nous en aurons une nouvelle preuve dans la description de celui de Saint-Loup pour une actrice qu’il idéalise mais que d’autres ont connue courtisane (on retrouve un peu des tourments de Swann devant les cruautés d’Odette).
Mais la psychologie amoureuse n’est pas la seule richesse de ce volume. Il recèle aussi, outre des réflexions détaillées sur l’art militaire recueillies par le narrateur au cours d’un séjour dans le casernement de Saint-Loup, outre les premières et déjà longues allusions à « l’Affaire » (Dreyfus) et à la question juive (le personnage de Bloch cristallisant en quelque sorte cet aspect du livre), d’admirables descriptions des théâtres et salons où s’agitent les aristocrates tels des poissons dans un aquarium. Descriptions tantôt métaphoriques, tantôt hyperréalistes d’un monde cruel où s’agitent snobs de tout crin, courtisans de tout poil, masques à la Ensor sous l’éclairage impitoyable des lustres : « Des couches de poudre plâtrant son visage, celui-ci avait l’air d’un visage de pierre. Et comme le profil était noble, elle semblait, sur un socle triangulaire et moussu caché par le mantelet, la déesse effritée d’un parc. »
A la fin du volume, le narrateur se voit proposer par Charlus une sorte de pacte comme celui que Vautrin présente à Rastignac. Il voudrait façonner cet « arbuste humain » en lui permettant de bénéficier de ses connaissances du monde. Cette sorte d’entrée en franc-maçonnerie permettrait au jeune homme, aux dires du tentateur, de brûler les étapes qui le séparent de la réussite. Le débutant acceptera-t-il de n’être qu’un jouet soumis à cette volonté machiavélique ? Cette question pose aussi celle de la personnalité, ou celle du libre arbitre. Dans quelle mesure décidons-nous de ce que nous sommes alors que « nous travaillons à tout moment à donner sa forme à notre vie, mais en copiant malgré nous comme un dessin les traits de la personne que nous sommes et non de celle qu’il nous serait agréable d’être » ?
Les éditions
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Le Côté de Guermantes [Texte imprimé] Marcel Proust éd. du texte, introd., bibliogr. par Elyane Dezon-Jones
de Proust, Marcel Dezon-Jones, Elyane (Editeur scientifique)
Flammarion / G.F.
ISBN : 9782080704702 ; 9,00 € ; 04/01/1999 ; 497 p. ; Poche -
Le côté de Guermantes [Texte imprimé] Marcel Proust éd. présentée, établie et annotée par Thierry Laget et Brian Rogers
de Proust, Marcel Rogers, Brian G. (Editeur scientifique) Laget, Thierry (Editeur scientifique)
Gallimard / Collection Folio
ISBN : 9782070392452 ; 9,20 € ; 16/02/2003 ; 765 p. ; Poche
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Entre esthétisme et ennui
Critique de Ngc111 (, Inscrit le 9 mai 2008, 38 ans) - 19 mai 2010
Maintenant pour en revenir à ce livre, "Le côté de Guermantes", je dois dire que je l'ai moins apprécié que les deux premiers.
D'abord l'histoire entre le narrateur et Oriane (si histoire il y a) me semblait trop proche par certains aspects de celle relatée au premier tome avec Mme Swann. Globalement j'ai trouvé des redondances dans l'approche des relations amoureuses avec les précédents tomes et éprouvé de ce fait un peu d'ennui dans cette lecture.
Ensuite je n'ai pas retrouvé la magie du second tome, les moments à l'hôtel, les jeux avec le groupe de jeunes filles... Ici la scène dans la caserne, le décès de la grand-mère et d'autres séquences ne m'ont pas procuré les frissons attendus. Je m'attendais à plus de lignes sur le ressenti de cette perte, sur le deuil.
Pire certains moments sont indigestes comme les tirades de M. De Guermantes sur la généalogie de sa famille. Les répétitions sur le caractère de ce personnage sont de même très fréquentes. Bref il y a des longueurs inutiles pour moi qui nuisent à un récit pourtant toujours aussi bien écrit.
Il faut avouer que tout cela est contrebalancé par le plaisir des yeux (quelles belles phrases !), mais aussi par certaines séquences, notamment celles avec St Loup, ou lors des échanges littéraires dans le salon des Guermantes.
La fin avec notamment l'échange houleux avec M. Charlus est une des plus réussies, on entend presque le ton menaçant, manipulateur, de cet homme aux intentions encore non évidentes.
En conclusion ce tome me laisse un sentiment plus partagé entre esthétisme et ennui.
De troublants émois adolescents
Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 47 ans) - 19 janvier 2008
Quelle admiration pour le grand monde, pour lequel il se damnerait, non pas tant par égoïsme, caractère superficiel ou mégalomanie, ce qu'il craint par ailleurs assez fort, mais, au contraire par souci de finesse, de culture et de grandeur d'esprit : il recherche l'affection de gens de valeur, en espérant pouvoir en faire partie, et conçoit sa chance comme une jouissance.
Quel art de la description et de l'analyse psychologique ! Son style est un souffle, un doux et mélodieux courant marin, où se mêlent toutefois un tantinet trop d'incises. Quelle sensibilité d'âme, qui le perd tout de même un peu : il y laisse une partie de son bonheur potentiel à trop s'épancher et s'interroger sur les arrière-pensées et l'impression qu'il peut donner.
Voilà bien un pan de quintessence de littérature.
La critique de Lucien est très belle.
La grande aventure continue...
Critique de JEANLEBLEU (Orange, Inscrit le 6 mars 2005, 56 ans) - 11 janvier 2007
Je n'ai pas grand chose à ajouter à toutes ces critiques excellentes mais juste quelques remarques faites au fur et à mesure de la lecture :
- Ce livre contient des moments d'anthologie (comme la mort de sa grand-mère, la relation de son ami Saint Loup avec sa maitresse ou son entrevue avec Charlus),
- Le principal sujet de ce roman est la découverte du "grand monde" qu'a fait Marcel Proust. C'est là que se situe une des grandes prouesse de Proust : arriver à raconter cette expérience en superposant dans son style l'ironie (qu'il a été amenée à développer face au "Grand Monde" après quelques années de pratique) et la passion (qu'il avait à l'époque de cette entrée dans le "Monde"). Dans une même phrase Proust peut donc faire preuve d'ironie et de détachement tout en montrant la soif passionnée de découverte qu'il avait dans ce moment-là.
C'est aussi là une (très petite) faiblesse de ce chef d'oeuvre : le "Monde" et ses "Snobs" sont tellement présents que parfois (un petit peu) lassants.
Fabuleux
Critique de Ulrich (avignon, Inscrit le 29 septembre 2004, 50 ans) - 22 mars 2005
Et puis il y a son écriture. Sublime ! Je n’ai pas d’autres mots. La page entière sur le lait qui chauffe et je le sentais, je le voyais. Non jamais un auteur n’a réussi à rendre aussi fin la frontière entre les mots, mon imagination et la réalité. Incroyable. La majorité de ce tome est consacrée à la description de l’aristocratie et de sa découverte par l’auteur. Et pourtant ce n’est pas l’histoire d’une ascension sociale, le narrateur apparaissant parfois à côté. Historiquement intéressant mais sans doute un peu long. Et puis il y a le récit de sa vie. De cette vie que l’on suit depuis Du côté de chez Swann. De ce récit, l’événement principal de ce volume est la mort de sa grand-mère. Un livre est toujours lié à la part de soi qu’on y met. Et la description de la mort de sa grand-mère m’a plongé dans un abîme de réalité. Je n’ai pas vu beaucoup de gens mourir mais la description des dernières secondes de la vie de sa grand-mère m’a approché de la mort comme rarement. Avec Proust, les mots ont définitivement un pouvoir magique.
Fabuleux !
Proust et Mozart
Critique de Saint Jean-Baptiste (Ottignies, Inscrit le 23 juillet 2003, 88 ans) - 20 septembre 2004
Lucien le dit très bien : un des intérêts de Proust c'est la leçon de psychologie amoureuse qui nous est donnée ; je répète après lui : "ce qui mêlait quelque plaisir à ma peine, c'est que je la savais une petite partie de l'universel amour". Qui dira que Proust n'est pas un génie ?
Il est réconfortant de voir qu'il est placé en bonne place dans le top 20 de CL (réconfortant pour ceux qui auraient douté un moment du niveau des "nautes" de notre site favori ;-) )
Un autre intérêt de Proust, et non des moindres, c'est ses portraits. Proust observe la société comme un botaniste observerait une ruche d'abeilles. Ses portraits sont faits d'une addition d'observations psychologiques énumérées selon le savant caprice de l'artiste ; et en "croquant" un personnage il lui arrive de broder autour de lui tout un roman : "Ses pensées avaient fini par modeler son corps et par lui enfanter une sorte de prestance qui passait aux yeux des bourgeoises pour un signe de race et qui troublait quelques fois d'un désir fugitif le regard fatigué des hommes du cercle".
Proust n'est pas un snob, comme on l'a souvent affirmé, c'est un homme du monde (dans le sens monde-mondain) et il observe ce monde avec une lucidité impitoyable qui confine par moment à la satire ; et pourtant il aime ce grand-monde qui est le sien et dont il ne peut se passer. (C'est peut-être ce côté "mondain" qui le rend insupportable à d'aucuns.)
La recherche du Temps Perdu contient 15 volumes ! (J'aurais dû dire 15 délices.) Oh ! Temps suspends ton vol ! Mais non, le Temps est sourd, il n'entend pas mes suppliques !
Je dois d'abord terminer les trois romans que j'ai commencés ; la suite sera pour une autre fois, pourvu que Dieu me prête vie ! .
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Faut-il lire Proust ? | 76 | Saule | 13 octobre 2019 @ 20:38 |
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